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Full text of "Si Mohand Isefra - poésie kabyle"

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Si Mohand (Mohand-ou-m’hand at Hamadouche — 
1845*1906). Il naît dans une famille kabyle relativement 
aisée, que ruine sa participation à l’insurrection de 
1871. Le jeune Mohand échappe de peu au sort de son 
père, fusillé. De ce jour commencent ses errances. 
Curieux de tout et de tous, marié ou célibataire, on ne 
sait trop, mais amateur, selon Mouloud Feraoun, « de 
kif et d’absinthe », ce vagabond caustique, charmeur et 
inspiré sème de courts poèmes, les isefra ou isfras , qui 
connaissent un immense succès. Ciseleur très noncha¬ 
lant du quotidien, des aléas de l'amour (qui sait, 
platonique ?), la légende s’empare de ce poète sans 
liens qui savait trouver en Dieu son refuge naturel. 
Traduction du kabyle par Mouloud Mammeri, présen¬ 
tation par Tassadit Yacine. 


Collection dirigée par Claude Michel Cluny 


U Afrique 

Kabyle (Algérie) 


Maquette de la couverture 1 

Colette Lambrichs, d'après Julio Pomar. 35 FI : . 



782729 109905 


Si 

Mohand 



Choix, traduction du kabyle 
par Mouloud Mammeri. 
Présentation par Tassadit Yacine. 



























MOULOUD MAMMERI 


Mouloud Mammeri est né en 1917 àTaouritMimoun (en haute 
Kabylie). Il est fils d'un artisan-armurier détenteur de la sagesse 
kabyle ancienne. Entre 1949 et 1962 Mouloud Mammcri enseigne 
les lettres françaises en Algérie et au Maroc. Mouloud Mammcri se 
fait remarquer par la parution de La colline oubliée , son premier 
roman, qui sera suivi de trots autres : Le Sommeil du juste, L ! Opium 
et le bâton, et la Traversée. Parallèlement à la fiction Mouloud 
Mammeri se consacre à la recherche dans le domaine de la langue et 
la culture berbères. Il est nommé, en 1969, Directeur d'un Centre 
d'Erudcs et de Recherches anthropologiques et ethnographiques, à 
Alger. En 1984 - avec le soutien de Pierre Bourdieu, il crée le centre 
d’Etudes Amazigh, à Paris. On lui doit plusieurs ouvrages sur la 
culture berbère, les îsefra de Si Mohand ou Mhand, Poèmes Kabyles 
anciens, TAhellil du Gourara, Tajerrumt n Tmazight. .. etc. 

Mouloud Mammcri a également dirigé deux revues de renom, 
Libyca , en Algérie et Awal, en France. Mouloud Mammcri décède 
en 1989 sur la route d'Oran. 


TAS S AD IT YACINE 


Tassadit Yacine, Maître de conférence à l'Ecole des hautes 
études en sciences sociales. Collaboratrice de Mouloud Mammeri, 
elle est membre fondateur de la Revue Awal et du Centre d'Etudcs 
Amazigh, qu'elle continue de diriger. 

On lui doit de nombreux ouvrages sur la culture berbère : Poésie 
berbère et identité, L ’lzli ou Tamour chanté en kabyle. Ait Menguellet 
chante... Les voleurs de feu. Eléments dune anthropologie sociale et 
culturelle de l’Algérie. 









ORPHÉE. COLLECTION DIRIGÉE PAR CLAUDE MICHEL CLUNY 


Deuxième Série 

126. Cobra Poésie. 

127. Paul Palgen, Guanabara et autres poèmes. 

128. Jan Kocnanowski, La Vie qu’il faut choisir. 

129. Maurice Chappaz, Office des morts suivi de Tendres campa - 
gnes. 

130. Alfred Tennyson, Le Rêve d’Akbar et autres poèmes. 

131. Bai Juyi, Chant des regrets étemels et autres poèmes. 

132. Juvénal, Satires. 

133. Gary Snydcr, Premier chant du chaman et autres poésies. 

134. Karolinevon Günderodc, Rouge 

135- Georges Haldas, Un grain de blé noms l’eau profonde. 

136. Michel Deguy, Ouï Dire. 

137. Jorge Nijar, Toile écrite. 

138. Roger Bodart, La Route du sel. 

139. Ivan Blatny, Le Passant. 

140. Edith Sôdergran, Le Pays qui n’est pas. 

141. Hsüeh T’ao, Un torrent de montagne. 

142. Anthologie grecque II. La Couronne de Philippe. 

143- H.D., Le jardin près de la mer. 

144. Ivan A. Bounîne, Mon cœur pris par la tombe. 

145. François Mauriac, Le Feu seeset. 

146. Thomas Hardy, La Risée du Temps. 

147. Robe no Juarroz, Douzième Poésie verticale. 

148. Karel Van de Woestijne, L ’ Ombre dorée et autres poèmes. 

149. Miquel Marti i Pol, Joie de la parole. 

150. Jules Laforgue, Que la vie est quotidienne.... 

151. Pantouns malais. 

152. Tibulle, Elégies. 

153. Johannes Bobrowski, Ce qui vit encore. 

154. Julian Tuwim, Pour tous les hommes de la terre. 

155. C.K. Willams, Chair et sang. 

156. Stephen Crâne, Les Cavaliers noirs et autrespcèm*s. 

157. Catharina Fjégina von Greiffenberg, Par le destin L plus 
contraire. 

158. La Passion du Christ selon les t tes baroques français. 

159. August von Platen, Sonnets d’amour et Sonnets vénitiens. 


160. Pericle Patocchi, L'Ennui du Bonheur et autres poèmes. 

161. Bhartrihari, La Centurie du renoncement. 

162. Innokcnti Fcdorovitch Annenski, Trèfles et autres poèmes. 

163. Paul Verlaine, Poésies 1866-1874. 

164. Olga Votsi, Le Dernier Ange et autres poèmes. 

165. D.H. Lawrence, Le Navire de mort. 

166. Christine Lavant, Les Etoiles de la faim. 

167. Luis Cernuda, Invocations précédé de Où habitera l'oubli. 

168. Ernst Mcister, L’Etoile du possible. 

169. Sigurdur Palsson, Poèmes des hommes et du sel. 


172. Virgile, Bucoliques. 

173. Le Livre des poèmes. 

174. Hector de Saint-Dcnys Garncau, A côté d’une joie. 

175. Philip Larkin, Où vivre, sinon ? 

176. Dulce Maria Loynaz, La Fille prodigue. 

177. Piero Bîgongiari, Ni terre ni mer. 


170. Françis Jammes, Une joie de jsaradis... 

171. al-Mutanabbï, la Solitude d un homme 






L'éditeur tient à remercier vivement Charles Juliet, qui l'a incité à 
consacrer un volume à S i Mohand ainsi que Jamal ed-Dîn Bencheikh 
pour son très amical soutien. 

© La Découverte pour la traduction. 

© ELA La Différence, 1994, pour la préface et les textes 


annexes. 


SI MOHAND 


ISEFRA 


TRADUCTION DU KABYLE 
PAR MOULOUD MAMMERI 
PRESENTATION PAR TASSADIT YACINE 


ORPHÉE / LA DIFFÉRENCE 





PRÉFACE 
par Tassadit Yacine 

Mohand-ou-m’hand (Mohand fils de M’hand) compte 
parmi les poètes qui incarnent la grande tradition poétique 
berbère. Le poète est connu sous le nom de Si Mohand qui 
désigne à la fois un nom très commun et pourtant spécifi¬ 
que. Nom commun en ce que la particule Si précédant 
Mohand est d’un usage courant, spécifique car ce nom a fini 
par désigner un barde d’une époque déterminée : la Kabylie 
de la fin du XIX e siècle. 

Quelles sont les conditions sociales qui ont favorisé l’émer¬ 
gence d’un poète tel que Si Mohand ? 

Peut-on comparer ce poète de la tradition orale berbère à 
un poète appartenant à une civilisation écrite qu’elle soit 
orientale ou occidentale ? 

Il est vrai qu’on ne peut apporter à cette question qu’une 
réponse partielle. Le poète de tradition orale est à la fois 
semblable au poète de tradition écrite et différent de lui. 
Etroitement lié à son auditoire, il est par essence un canal 
d’expression privilégié, voire un exutoire de son groupe ; ce 
qui n’est pas forcément le cas d’un poète de tradition écrite. 
Certes dépendant de son groupe, ce dernier peut parfois s’en 
extraire. Son oeuvre peut, à l’occasion, être parfaitement 
découverte et appréciée après sa mort. Ce qui est difficile¬ 
ment concevable pour un poète de tradition orale. Sa re¬ 
nommée peut encore acquérir de l’importance après son 
décès, mais on ne ^ut guère imaginer sa découverte post 
mortem comme dans la tradition écrite. Aussi est-il intéres¬ 
sant pour le lecteur d’aujourd’hui de comprendre en même 
temps que la pensée de l’auteur celle de son auditoire, scs 


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modes de réception et de mémorisation ; car le travail de 
censure, de filtrage, de codification a été réalisé au moment 
de la conception du poème. 

Marqué par le siècle, Si Mohand retraduit les angoisses, 
les déboires et les désillusions des hommes de son temps. 

Il est en effet né à une époque charnière et décisive de 
Thistoire nationale. Il a vu le jour vers 1845 à Icherâiouen 
(Tizi-Rached). D’origine sociale plutôt aisée, le jeune 
Mohand est destiné aux études : à la lecture et à l’écriture de 
la langue sacrée, l’arabe, langue du Coran. Il est socialement 
situé du coté des membres privilégiés, voire des élus, de son 
groupe. 

Dans sa petite enfance, Mohand est donc favorisé par le 
sort, puisque la société dans laquelle il vivait n’était pas 
encore affectée par l’ordre colonial qui avait déjà gagné la 
plus grande partie du nord de l’Algérie. 

C’est seulement vers 1857 que toute la Kabylie sera 
occupée par les troupes du général Randon. Le cadre général 
de la tribu de Si Mohand ne sera guère épargné. C’est en 
effet, un peu plus tard, en 1871» avec la célèbre insurrection 
du cheikh Aheddad et de El-Mokrani, que les structures de 
son village et de sa famille seront sérieusement ébranlées. 

Le séquestre qui va frapper nombre de familles (donc la 
sienne), les bannissements, les exécutions sommaires opè¬ 
rent un bouleversement généralisé de sa société. 

Mohand, comme son père, devait aussi être exécuté. Un 
officier de l’armée le sauvera in extremis car il jugeait sa mort 
sans importance. Le village de Mohand a été entièrement 
rasé et ses habitants disséminés dans d’autres villages de 
Kabylie. Certaines familles émigrent vers les grandes villes : 
Bône ou Tunis ; c’est le cas d’une partie de la famille du 
poète. Son frère s’est rendu à Tunis avec, de surcroît, une 
partie de l’héritage familial. 


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Marqué par la mort et l’exil, le poète est désormais seul. 
Aussi est-il chargé symboliquement d’être le représentant de 
sa famille, de sa généalogie, de sa patrie, ce qui constitue une 
lourde responsabilité. Sans soutien moral ni matériel, Mohand 
n’adhérera pas au schéma classique. Il va s’en éloigner au 
maximum. Ayant été désigné pour les fonctions de clerc 
(taleb) t il n’usera point de ce prestige pour s’intégrer dans la 
société, car il lui est impossible désormais de se fixer en un 
endroit : 


« Jadis j’étais clerc 
Aux soixante sourates [...] 

Puis j’endurai toutes les peines 

Parcourus tous les lieux d’exil 

Abordai à toutes les villes 

Maintenant car c’était écrit dans mon destin 

Je subis la misère, la boisson [...]. » 

(poème 12, p. 29) 

Poussé par une étrange quête, celle d’une patrie, d’amours 
réelles ou imaginaires, Mohand est comme réduit à l’er¬ 
rance, à la mobilité. Mais il n’est pas le seul à être frappé par 
le sort (Iwaâd un de ses termes privilégiés) plusieurs de ses 
amis et compagnons vivent dans la même condition. 

Pour tous, l’issue qui reste, c’est l’exil : partir du hameau 
pour le village colonial (Ibiladj), ou pour les grandes villes 
(timdinin) t Bône, Tunis. Ce passage d’un univers à un autre, 
pour le poète, c’est le passage de tamurt (le pays, le village) ou 
de taddert (qui signifie aussi le village natal) au Ibiladj (le 
village de colonisation). Il oppose également lher (le pur, 
l’authentique, le vertueux) à soufadj (Te sauvage). Ce néolo¬ 
gisme récent appliqué par l’ordre dominant à sa culture, son 
peuple, Mohand le reprend à son compte pour désigner 


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toute une catégorie sociale qui, comme les plantes, est vouée 
à pousser hors des cadres habituels '. Etrange association de 
termes qui permet de constater comment Mohand a intégré 
la vision du monde du colonisateur, maL» au fond n’est-elle 
pas celle qui structure toutes les sociétés : les rapports cîe 
force à l’origine de toute domination. Cette mutation déci¬ 
sive lui permet de fuir la cruauté et la tyrannie de la société 
traditionnelle. Il n’est point privilégié dans les bidonvilles 
des grandes villes. Il le sait. Il peut tout de même choisir de 
vivre dans la marginalité, ce qui est impossible au village 
kabyle. Cette position est exemplaire pour traduire certaines 
dimensions refoulées de sa culture. 

Ce mode de vie, qui l’éloignait des siens, tout en le 
rapprochant d’eux affectivement, favorise l’inspiration. Les 
déracinés, comme les éternels exilés, sont toujours en quête 
d’une patrie. Mais la patrie de Mohand est celle de l’enfance 
perdue. N’est-elle pas nostalgie du nid chaud du foyer 
familial qu’il va quêtant au gré de ses aventures ? 

« Du temps que j’étais enfant 
Sans pareille était ma beauté 
Mon père travaillait pour moi 

Nous possédions de bonnes terres à Chamlal 
Et d’autres en montagne 
C’était pensais-je la fortune 

Maintenant que je prends appui sur la férule 
Mon bonheur penche 

Las Où est le temps d’antan. » (poème 4, p. 25) 

1. Dans la langue kabyle, on désigne par aheccadW plante non greffée. 
Le terme ahcccadi applique à la masse numériquement importante de « ro¬ 
turiers » (selon la perception maraboutique) et renvoie globalement à tout 
ce qui est « sauvage », inculte, etc. 


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Cherche-t-il à gagner l’affection d’autrui ou cherche-t-il à 
s’en éloigner afin de donner sens, existence à sa souffrance, à 
ses déboires ? Si Mohand étant le fils de la bohème, de 
l’aventure, le fils de « Hélas », comment peut-il imaginer un 
seul instant épouser les cadres étroits d’une société en la¬ 
quelle il se reconnaît à peine et qu’il fuit ? 

« On m’a surnommé l’égaré 
Moi qui ai psalmodié les lettres 
Et appris les soixante sourates 

Mon nom était célèbre 

Chaque jour j’entrais dans les rangs des prieurs 
Etant depuis longtemps clerc 

Maintenant que je suis adonné aux filles 
Vidé d’argent 

Voué aux cartes et à la boisson. » (poème 3, p.25) 

Dans un autre poème, il déclare : 

« Au temps de ma droite chance 
Je passais mes jours à réciter le Koran 
Cherchant le sens de chaque terme 

Maintenant que me voilà perdu 
Je pèche sciemment 
Je sais la Voie... et la fuis. » 

(poème 10, p. 123, Edition Maspero, 1969) 

Il la fuit sans doute pour mieux la voir, mieux sentir le 
poids de sa tyrannie, de ses injustices. La distance ne permet- 
elle pas ici proximité, naissance de la poésie ? 

Naissance d’un mode autre de vivre et de penser, adapté à 
des comportements favorisés par le nouvel ordre économi¬ 
que, social, politique. 


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Les aller et retour, la prolétarisation généralisée des Algé¬ 
riens arabes et kabyles, l’apparition des boissons alcoolisées, 
la consommation de drogue (haschisch, cocaïne) témoi¬ 
gnent d’un mal qui ronge sérieusement la société algérienne 
dans son ensemble. 

I,a brisure du destin singulier de Mohand n’est que le 
reflet d’un destin collectif lui aussi brisé. 

Aussi comprendra-t-on que, loin de s’accrocher aux lois 
traditionnelles, vidées de leur substance, Mohand s’en écar¬ 
tera volontiers par son mode de vie mais aussi par ce qui va 
faire son identité, sa survie sociale : la poésie. 

C’est un poète hors du commun, il ne peut donc être que 
spécifique. Si Mohand ne va pas représenter la famille At 
Hamadouche, il ne va pas non plus fonder un foyer, il va 
transgresser les règles sociales : détour nécessaire pour entrer 
en poésie. Il va prolonger la mémoire collective ancienne 
dans sa dimension berbère et méditerranéenne. Par Si 
Mohand, nous pénétrons en effet de plain-pied dans la 
tradition grecque ancienne dans laquelle le poète était appelé 
drmiourgos . 

Il était censé détenir, perpétuer la mémoire du groupe, 
forger ses règles et travailler au rappel de ses valeurs, de ses 
rites et de ses mythes. Nous retrouvons dans son répertoire 
nombre de poèmes consacrés à la perte des valeurs ancien¬ 
nes, en somme, au changement social perçu comme une 
inversion de l’ordre symbolique. 

Si Mohand s’inscrit sans conteste dans cette tradition. Un 
poète est celui qui se consacre à son art. Il est comme 
prédestiné à marquer le siècle, la littérature maghrébine dans 
son expression berbère. Les signes d’élection sont nombreux 
et connus de tous : les songes, les épreuves, les pactes avec les 
puissances célestes. 

Le candidat à la poésie ou à la divination doit suivre un 


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périple initiatique au cours duquel il est élu. Mohand est ici 
désigné par un ange qui lui enjoint de choisir entre conce¬ 
voir la poésie ou la dire. Mohand lui dit alors : « Compose et 
moi je parlerai. » Depuis cette rencontre avec l’ange au bord 
du puisard, le poète est devenu intarissable. 

Le poète n’est donc qu’une voix, qu’une expression échap¬ 
pant à la rationalité sociale. Aussi le poète doit-il obéir à cette 
voix intérieure qui est à la fois singulière et collective. 
Singulière en ce qu’elle est unique et possède ici un corps et 
un esprit (celui du poète), elle est plurielle car elle est la 
traduction de l’imaginaire social en son entier qui reconnaît 
en lui le porte-parole des voix de l’autre côté du rideau 
(entendez le monde invisible). 

Cette sortie hors de soi est vécue comme extraordinaire et 
comme un signe d’élection. 

Aussi le poète se permet-il de repenser le monde, car il 
incarne précisément la perception du cosmos. 

Il est ce philosophe qui rappelle la bonne conduite des 
hommes, les règles qui jadis fondaient l’équilibre de la 
société. 

C’est pourquoi, dit-on, Mohand est désigné pour devenir 
poète de l’amour et maître de l’ asefru,,. 

Comment concilier asefru (de éclairer, élucider, délier, 
interpréter) et amour ? Ces deux termes sont à la fois conci¬ 
liables et antithétiques car l’amour ne peut se dire (prendre 
forme ?) que dans et par la poésie ; et si l’on n’évoque 
l’amour que dans la poésie c’est qu’assurément il n’a pas 
droit de cité dans la société ou bien la marge laissée par le 
code est si mince (car strictement réglementée) qu’on peut 
dire qu’il est inexistant. 

L 'asefru incarne un genre : le tercet heptasyllabique. Avec 
Si Mohand, Y asefru va prendre le devant de la scène sur tous 
les autres genres qui préexistaient : les tiqsidin (genre édi- 


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fiant, noble), les izlan (genre léger, lyrique). Pour compren¬ 
dre la relation étroite entre Y asefru et Si Mohand, il serait 
intéressant de voir si la société kabyle d’antan n’avait pas 
d’autres canaux (ici genre) pour dire l’amour dans ses diver¬ 
ses formes (sentimental, érotique, légitime). L 'asefru 
mohandien va en efFet marquer le siècle parce que, de par 
son expression, Mohand (comme homme et comme clerc) 
va outrepasser les bornes. Il est le poète de la règle qu’il dit et 
qu’il transgresse hyperboliquement, comme il est le chantre 
de l’amour, des vins doux, des alcools et des drogues. Il est 
donc le porte-parole de ceux qui sont plus en dehors de la 
société qu’en elle. Aussi Yizli (chant lyrique), genre jadis 
apprécié par les jeunes, les bergers, et socialement autorisé 
dans les fêtes, ne peut guère convenir au poète. Vizli (chant) 
est un poème court, il est consacré à l’amour. 

A situation insolite, expression renouvelée. Les rites, les 
conventions, les feintes de Y izli ne peuvent plus satisfaire 
une existence désorientée, sans port d’attache (ur test leqrar). 
Les vers de Mohand contrairement à Y izli (souvent expres¬ 
sion collective) vont chanter les sentiments les plus indivi¬ 
duels, les plus coupés de toute référence sociale autre qu’une 
poétique purement symbolique, exaltation des valeurs de 
jadis (ztk), que le poète ne définit jamais. Sa sensibilité 
d’homme rejeté (y compris par les siens, son frère) le prédis¬ 
posait à ce rôle, mais plus encore les conditions concrètes de 
son existence : Mohand ignore presque les règles du jeu car 
les temps anciens sont désormais morts et les nouveaux pas 
encore nés. Aussi son discours n’est pas seulement déviant, il 
est scandaleux et même blasphématoire. 

On peut considérer que le scandale, c’est la transgression 
assuméepubliquement. Ainsi l’/z/r peut être considéré comme 
l’aboutissement nécessaire des contradictions d’une société : 
Y izli est socialement accepté même si l’on fait semblant de 


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l’ignorer. Il est donc partie intégrante de la culture, il est 
l’exception qui confirme la règle ; en revanche Y asefru 
mohandien est un défi permanent. Il est le désordre outran- 
cier. Mais c’est sans doute par la création poétique que l’on 
peut davantage comprendre l’homme. Mohand est à la fois 
le poète chargé de transmettre les valeurs de sa culture mais 
l’incohérence des hommes le pousse à révéler leur hypocri¬ 
sie. Même si le poète semble bousculer les règles sociales, il 
n’en demeure pas moins qu’il reste lui-même dans les limites 
du dicible. On le voit dans l’utilisation pléthorique de la 
métaphore. Certaines métaphores en viennent à constituer 
l’essence même de sa poésie. L’amour est d’abord décrit sous 
cette forme, elliptique pour le lecteur étranger mais parfaite¬ 
ment claire pour l’auditoire kabyle. 

Esquisses précises mais jamais achevées, ses descriptions 
sont très suggestives. La femme, son corps ne sont jamais 
livrés au public dans leur nudité totale. Il procède par petites 
touches comme pour garder au corps de la femme tout le 
mystère, le suc, la sève. Comme avec un pinceau de peintre, 
le poète lève le rideau sur une partie : la plus enfouie, la plus 
cachée, mais sans jamais aller au bout de son oeuvre. Car 
livrer le tableau dans son intégralité, c’est aussi ôter le 
charme (serr), la saveur. Les corps des femmes sont beaux 
certes mais demeurent inaccessibles, ils sont là pour pousser 
à la suggestion, à la création. Aussi le poète utilise la méta¬ 
phore du jardin au point d’en faire la substance même de son 
répertoire. 

Ces non-dits clairement suggérés par Si Mohand sont 
vécus comme une extrême licence voire une vengeance 
symbolique de toute une classe sociale. C’est en effet la lutte 
de toute une classe d’âge, une catégorie sociale contre l’ordre 
des anciens et l’ordre en vigueur (l’ordre colonial) que les 
isefra relatent. 


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Le procédé est si courant chez l’auteur, les métaphores 
répétitives au point de devenir obsédantes que le lecteur 
s’interroge sur leur signification profonde. 

Quel est le lien qui existe entre la femme et le jardin 
(tibhirt, lejnan ). Mammcri a traduit avec raison lejnan par 
éden ramenant ce terme à djmna^ en arabe : paradis. 

La femme aimée peut avoir un nom, un visage, une 
adresse. Ce sont autant d’éléments qui montrent que l’auteur 
s’inspire de situations réelles, vécues par lui ou relatées par 
ses proches. 


« La lionne rugit et hurla 

Devant tous les Ait Abbas 

Quand elle apprit que j’avais décampé 

Elle a sourcils arqués 

Cheveux jusqu’à la ceinture 

Seins pimentés. » (poème 122, p. 67) 

Dans cette poésie personnelle, marquée du sceau de la vie 
du poète, beaucoup se reconnaissent car il est de partout et 
de nulle part. Il est, comme il a été dit, Si Mohand fils de 
M’hand : rien de plus commun mais il est en même temps 
lui, c’est-à-dire qu’il n’a pas besoin de nom ethnique (Mohand 
des At...). Il n’est pas le chantre d’un groupe déterminé mais 
à la limite de divers groupes quels que soient les âges, les 
régions et parfois la langue. Il lui est arrivé de composer des 
vers en arabe pour ses amis bônois. Car la voix de Mohand, 
cet aristocrate déchu, est en fait une voix révoltée, nostalgi¬ 
que, tour à tour résignée, furieuse, heureuse, mais jamais 
totalement, sous l’apparence de ne dire qu’une déréliction 
singulière. Cette voix contait à tous la misère des affects 
déchirés, frustrés. La voix de Mohand n’était pas seulement 
fidèle résonance, elle portait en elle une autre: perception de 


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l’univers, une cohérence à recréer, elle était grosse d’un ordre 
autre, que personne ne pouvait, ne savait définir, ni même 
imaginer, mais que le verbe du poète suggérait, annonçait. 
Car Si Mohand à la fois dans et hors de toute foi et de toute 
loi, sentait comme les prophètes les bouleversements de la 
société et leurs conséquences sur le destin des hommes. 
Devant l’impasse généralisée, devant l’impossibilité pour lui 
de s’exprimer autrement que dans et par la poésie, Mohand 
choisit (où a-t-il été choisi ?) la dimension la plus refoulée 
dans la société : l’amour. On y découvre certes la vision 
traditionnelle, les quêtes multiples, les interdits ; mais 
Mohand va au-delà, il outrepasse les limites, il conduit son 
auditoire (paysan en tout cas) vers des lieux inconnus que 
l’on ne pourrait, ne saurait imaginer : les lupanars des gran¬ 
des villes, à Bône, rue Sidi Ramdane à Alger : 

« Mon coeur bat des ailes 
Et voudrait ramier devenu 
En un jour traverser la mer 

Vers les filles de soie vêtues 
Dans leurs alcôves chaulées 
Chacune avec un numéro sur sa porte 

Car id qu’importe qu’elles se parent 

Il n’y a pas de doute 

Fades sont les plaisirs d’ici. » 

(poème 100, p. 235, Edition Maspero, 1969) 

Même si c’est l’amour sous son aspect négatif, il repré¬ 
sente néanmoins un exutoire, un lieu extraordinaire qui 
permet, au moins, aux consommateurs réels ou virtuels de 
laisser libre cours à leurs phantasmes. Dans le village, la 
passion amoureuse était encore mortellement dangereuse. 


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Le mythe était planté au cœur de la société. Il y a encore peu 
de temps, le groupe choisissait la plus belle jeune fille du 
village pour l’offrir au Dieu de la pluie (son fiancé). Elle 
devait se dévêtir dans un oued sec et s’offrir symboliquement 
à lui. Ceci pour souligner l’importance des mythes et des 
rites qui rythment le flux vital des hommes. L’amour comme 
phénomène essentiel de reproduction (et aussi de concilia¬ 
tion et réconciliation des individus ou des groupes en cas 
d’adversité) ne peut que se réaliser par le biais du rite. Car 
aller à l’encontre de la norme, c’est opérer une révolution 
cosmique. C’est de cela qu’il s’agit sans doute : révolution 
cosmique peut-être mais symbolique certainement. Mohand 
foule le monde, ses valeurs, et surtout les hommes qui 
prônent une gratuite virilité. 

Si Mohand comme homme et comme poète ne peut que 
s’insurger contre cette injustice planétaire qui est au cœur de 
chaque homme, quelle que soit sa religion, son ethnie. On 
peut voir le poète s’indigner contre les Kabyles, les Arabes, 
les musulmans, les juifs et... parfois les femmes. Poète d’un 
groupe au départ, Si Mohand est devenu le poète maghrébin 
universel. C’est en fait grâce à sa déviance, aujourd’hui 
largement récupérée, que la culture berbère (de Kabylie) a 
pu avoir ses lettres de noblesse. Les hommes de lettres — des 
médiateurs comme Boufifa, fin du XIX e siècle, Mouloud 
Feraoun, en 1957, et plus récemment encore Mouloud 
Mammeri, en 1969 — ont pu brandir cet étendard comme 
pour se convaincre et convaincre le monde de la culture 
savante que les peuples dits sans écriture avaient une littéra¬ 
ture rigoureusement élaborée. Cette voie est actuellement 
poursuivie par de jeunes poètes. A celle de Si Mohand 
s’ajoutent d’autres voix qui ont leur place dans la poésie 
universelle. 


Tenerife, le 4 août 1993. 


18 


ISEFRA 







BISMILLEH 


1 

Bismilleh ar nebd’ asefru 

ar Elleh ad ilhu 

ar d inadi deg lwedyat 

Wi s islan ard a-t-yaru 
ur as iberru 

w’ illan d lfahem yezra l 

Anhell Rebb’ a tent ihdu 
yers a la ndaau 
ad baadent adrim nekfa t. 


Var. Boulifa (1 er vers) ï 

Tikkelt a ad hej*giy asefru 

(Cette fois je vais entamer le poème) 


20 


PRÉLUDE 


1 

Au nom de Dieu je vais entamer le poème 

Puisse-t-il être bon 

Et s’en aller errant dans les plaines 

Quiconque l’aura entendu l’écrira 

Il ne l’oubliera plus 

L’esprit sagace en comprendra le sens 

De grâce mon Dieu guide-les 1 dans la voie 
C’est toi que j’implore 
Qu elles aillent loin de moi 
[j’y ai laissé tout mon argent. 


1. Ce pronom (féminin pluriel en berbère) désigne les filles en 
général. 


21 








2 


A kra ittaassan lefjer 
s tzallit d ddker 
aayent-i abrid a nterrey 

Afwad iw ittuaammer 
s ccerb d lexmer 
ur ddirey ur mmutey 

Win qesdey ad iy’ isser 
izga d iwexxer 
tezwar si tagmat nney 

Atas aya ay nesber 
rebaa snin akter 
ntebaa lyerba tfels ay 

Amalah a kra nkerrer 

iruh deg-geyzer 

ula d Lhemd* iaarq ay 1 . 


1. Boulifâ (141) donne seulement les strophes 1, 2 et 5 avec les 
varientes suivantes : 

5 - s Iwchc d leqher 
13 - d kra ngewwed nkerrer 
ibbiwi t akw yeyzer 

Il attribue le poème à un jeune homme d*Adni, mais il ajoute 
qu il s agit d une poésie de Si Mohand « avec de légères modifica¬ 
tions ». 


22 


2 


Vous qui guettez l’aube 1 

A prier et chanter Dieu 

Aidez-moi Cette fois je suis au plus mal 

Mon cœur est tout bouleversé 

De vin et d’alcools 

Je suis entre la vie et la mort 

Ceux dont j’ai sollicité l’assistance 
Se sont récusés 
A commencer par mes frères 

11 y a beau temps que je patiente 
Quatre ans et plus 

Je me suis adonné à l’exil et l’exil m’a ruiné 

Las tout ce que j’ai recopié 

Au torrent s’en est allé 

J’ai égaré jusqu’à la première sourate 2 . 


1. Ce poème passe pour avoir été le second composé par Mohand. 

2. Dans les écoles koraniques, renseignement comportait essen¬ 
tiellement la copie, l’apprentissage et la psalmodie du Livre Saint. 
La mémoire y jouait un grand rôle, et il fallait pour ne pas oublier 
procéder fréquemment à des exercices de récitation. 

Variantes Boulifa (141) : 

5 - De frayeur écrasante 
13 - Tout ce que j’ai psalmodié et recopié 
Le torrent l’a emporté 


23 










3 


Semman i medden a Imetluf 
nek heggay lehnif 
armi yriy settin hizeb 

Ism iw yer medden maaruf 

tazallit d ssfuf 

deg zik bbwdey d ttaleb 

Tura mi tebaay sut llhuf 

ikfa yi urnes ruf 

yliy di lkarta d ccerb. 


4 


Af asmi lliy d acawrar 
zzin iw yufrar 
ixeddem d baba felli 

Nekseb tiyezza n Camlal 
nerna idurar 
auddey d ssab’irkwelli 

Tura mi senndey s uffal 
zzehr iw imal 
yahetrah yef zikenni. 


24 


3 


On m’a surnommé l'égaré 
Moi qui ai psalmodié les lettres 
Et appris les soixante sourates 

Mon nom était célèbre 

Chaque jour j’entrais dans les rangs des prieurs 
Etant depuis longtemps clerc 

Maintenant je suis adonné aux filles 
Vidé d’argent 

Voué aux cartes et à la boisson. 

4 

Du temps que j’étais enfant 
Sans pareille était ma beauté 
Mon père travaillait pour moi 

Nous possédions les bonnes terres de Chamlal 1 
Et d’autres en montagne 
C’était pensais-je la fortune 

Maintenant que je prends appui sur la férule 2 

Mon bonheur pencne 

Las Où est le temps d’antan. 


1. Chamlal : vallée inférieure du Sebaou, à l’est de Tîzi-Ouzou. 

2. Expression proverbiale. La tige de férule est peu résistante. 


25 













6 


Lemmer am zik tella ttrika 
nezgn d nettwekka 
kulha yegga d limara s 

yef zzin nebbw: dderka 
d lwiz ay nefka 
naaceq deg zzhu n tullas 

Tura mi tbeddel ssekka 
ur infaa lebka 
ssber ittabaa t layas. 


7 


Annay a Hebb’ amek akka 
hesley di ccebka 
a LIeh anida tifrat 

Zikenni mi nesaa ttrika 
nedha d nettwekka 
nennum zzhu d ixalat 

Tura neyli ger imerrka 
tekfa din lehya 
ççan iyi di lhayat, 


26 


6 


Jadis lorsque j’étais riche 
Je me sentais étayé 

Le passé de chacun nest-ce pas laisse sa marque 

Pour la beauté j’ai souffert 

Répandu des louis d’or 

J’aimais passionnément le plaisir des filles 

La monnaie maintenant a changé 
Mais à quoi bon les larmes 
Après l’attente vient la résignation. 

7 

Las Seigneur pourquoi suis-je ainsi 

Pris dans les rets 

Où est mon Dieu la délivrance 

Du temps que j’étais fortuné 
Je me sentais etayé 

J’avais coutume de me divertir avec les filles 

Maintenant parmi des hommes pourris 

Sans pudeur 

Je suis 'évoré vivant. 


27 












8 


Lherf iw idda yef Ixa 
yura deg nnesxa 
ziy ddunit am laazib 

Asm akken zehhuy s rrxa 
d Imesruf yeqwa 
mekkul lgiha sâiy ahbib 

Tura mi d zzi s leyla 
aammdey lwesxa 
yak ma yliy ulac laib. 


12 


Zikenni nek <1 tlalH» 
n seltin hizeb 
di tedwaf izga ukorras 

Di lemhaven nettâaîfib 
nuday d akw leyrib 
kul lbilaj beddey fellas 

Tura mi di iras yekteb 

s Ihif umâa ccerb 

win iwten Rebb’ a-t-iqas. 


28 


8 


J’ai préludé à mon poème en kh 1 
Je l’ai transcrit 

Ce monde en vérité est transitoire 

Du temps que les plaisirs me coûtaient peu 
Que j’avais argent sans compter 
En tout lieu j’avais des amis 

Maintenant au il me faut payer cher 

Et supporter l’opprobre 

Je peux n’est-ce pas tomber sans honte. 

12 


Jadis j’étais clerc 

Aux soixante sourates 2 

J’avais toujours l’encrier près de mes cahiers 

Puis j’endurai toutes les peines 
Parcourus tous les lieux d’exil 
Abordai à toutes les villes 

Maintenant car c’était écrit dans mon destin 
Je subis la misère, la boisson 

Mais à qui me blâme Dieu enverra les mêmes maux. 


1. Lettre de l'alphabet arabe. 

2. Les élèves des écoles koraniques poussaient plus ou moins loin 
l'apprentissage des 60 chapitres (sourates) du Koran. Si Mohand, 
lui, le possède tout entier. 


29 







13 




Ata wul iw isnehtit 
iggul ur ihnit 
ur izdiy deg Ceràiwen 

Asmi yella zzman d lâali t 
mkul azniq nuy it 
lehdur iw ttaaddayen 

Tura tettef iyi àdunit 
lemhayen iw ggwtit 
iAarq ay zzhu daven 


15 


Recdey k a Ifahem Jhessis 
naàya nefhewwis 
asmi llan leqlub sfan 

Kul yiwen ittissin lheq is 
iteddu s Iqis 
sttemmih i wi yerfan 

Tura ul iw la yettinsis 
yak yban isem is 
Yahetrah àaddan wussan. 


30 


13 


Mon coeur ahane 

Et sans crainte de parjure fait serment 
Qu il nhabitera plus Icherâiouen 1 

Au temps des jours heureux 
J’en parcourais toutes les rues 
Ma parole y avait crédit 

Maintenant la vie s’est saisie de moi 
Mes peines sont innombrables 
C’en est fait J’ai perdu l’art des plaisirs. 

15 

Esprit sensé écoute-moi je te prie 
J’ai erré jusqu’à la lassitude 
Du temps que les cœurs étaient purs 

Chacun savait sa juste part 
Et mesurait sa démarche 
On pardonnait à la colère 

Mon cœur maintenant dégoutte 
On a enseveli mon nom 
Las et mes jours sont passés. 


1. Hame-u du village T...» ^Uchcd, où est né S Mcnand. 


31 







16 


Lqern agi d nnaqes 
igga-y-ay nerxes 
kullas la ?çadent fellay 

Zik asmi lliy d lfares 

s cci netwennes 

atas di medden i shefdey 

Tura mi t-tagwni{ taàkes 
zzher iw yettes 
Imehna iqder a kemmley 

Recdey-k a lfahem hesses 

di lhedra ekyes 

lehlak iw hed m’ a-s-t-mley 

Ddunit isaab lamer ines 
w irebhen yenhes 
xirella bbwidak ssney 


Abàad tecceçç as times 
deg lerbah yuyes 
syur Rebb’ ay as d frey 1 . 


1. Version Yuscf-u-Lcfqi. 
Variante Boulifa (98) : 

1 - Lqern a yebda s Igcrs 
3 - daymi la nihin fcllay 
5 - usiyd netwennes 
8 - Hed m’ ad as nhes 


32 


16 


Ce siècle ingrat 
A la fin m*avilit 

Et chaque jour augmente mes peines 

Jadis j’étais chevalier 
Pourvu de fortune 
Je montrais la voie à beaucoup 

Maintenant le destin m’est contraire 

Et mon bonheur s’est endormi 

Sans doute irai-je jusqu’au bout de l’épreuve 

Esprit avisé écoute-moi je t’en conjure 
Ne tiens pas de propos inconsidérés 
Car mon mal à personne je ne puis le dire 

Apre est la loi de la vie 

Les heureux sont jaloux de leur bonheur 

Plus d’un en tout cas de ceux que je connais 

Et d’autres mangent le feu 

Et désespèrent a être heureux 

Car c’est de Dieu que leur vient le manque *. 


1. Variantes Boulifa (98) : 

1 - Ce siècle commence à me viser 
. 3 - Au point que je suis devenu objet de risée 

3 - J’étais pourvu 
8 - Je n’écouterai personne 


33 





18 


Aqliy* am gider amerrzu 
hesley deg-gwagu 
aabdey imeçti d laayad 

Asm’ iferr iw ijhuzzu 
sewwqey d amenzu 
s waffug zegrey agwemmad 

A kra itauzzun iddullu 
ikkes aney zzhu 
lbaz neyben-t iyuzad 1 . 


1. Le thème de l’aigle blessé est classique dans la poésie tradi¬ 
tionnelle. Voici un sizain répandu : 

Aqliy’ am gider amcrrzu 
i-ï-yuyeu de g* gwafriwcn is 

Atmaten is ufgen ruhen 
ittawi lewhi s wallcn is 

Ay at leqlub leqqaqei 
azent as d ddwa i wul is. 


34 


18 


Aigle blessé me voici 
Empêtré dans la brume 
Voué aux larmes et aux cris 

Du temps que planaient mes ailes 
J’étais le premier à partir 
A voler par-delà les mers 

Saints qui donnez prestige et discrédit 
Je répugne aux plaisirs 
Depuis qu’à coups de bec 
[les coqs attaquent les faucons *. 


1. La symbolique animale traditionnelle distingue des espèces 
nobles (le lion : izem, le tigre : ayilas, le faucon : lbaz, plus souvent 
que l’aigle : igider), d'autres viles (la bécasse : aybub, le charognard : 
isyi, le hibou : bururu). Le serpent (azrcm) est synonyme de ruse, la 
perdrix (tasekkurt) représente la beauté, le pigeon (itbir, ahman) la 
tendresse ; c’est aussi par excellence l’oiseau qu’on charge de tous 
les messages, parce que son vol ignore les obstacles qui s’interpo¬ 
sent sur terre entre le poète et l’objet de ses vœux. 

Sizain de l’aigle blessé : 

Mc voici tel l’aigjc blessé 
Touché aux ailes 

Ses frères envolés sont partis 
Il suit des yeux leur trace 

Saints au cœur compatissant 
Envoyez remède à son cœur. 


35 






19 


Aqiay g lqern rbaàtac 
ikfa wis-tlettac 
a lhadeq fhem £hessis 

Irbeh w illan d amâac 
la ihedder ssettac 
d lasel yeyba visem is 

Qqwlen yer zzna bbwarrac 

ikfa ddin ulac 

cban tidma s tteryis. 


22 


Ddenya f medden tfusel 
di lefhem yetnessel 
zzwamel beddlen tikli 

Kra bbw’ illan d lasel 
di lyaba yehmel 
aaryan talab’ ur telli 

Lqern akk* i t id yersel 
deg-wnezgum nehsel 
mi nger aqeddam neyli. 


36 


19 


Nous sommes au quatorzième siècle 1 

Le treizième a pris fin 

Esprit avisé écoute et comprends-moi 

Les métèques ont prospéré 
Ils parlent haut 

Et des nobles le nom s’est perdu 

On s’adonne maintenant à l’amour des garçons 

On est sans foi ni loi 

On va attifé comme une fille. 

22 

Le monde pour tous a explosé 

C’est une vérité bien établie 

Les canailles ont changé de conduite. 

Tous les hommes bien nés 
Dans les forêts se sont perdus 
Nus sans nul vêtement de laine. 

Ainsi Dieu a-t-il voulu ce siècle 
Où englués dans l’inquiétude 
A chaque pas nous butons. 


1. Le XIV* siècle de l’hègire a commencé le 12 novembre 1882. 


37 





26 


Naaf fell* 1 a Bentumi 
d lwaad yettf iyi 
ma yefley keç d aassas 

Yir ccywel ula iwimi 
yif it iyimi 
akridi iteba it leflas 

Lqum agi yeswehm i 
i^uxxu s yimi 
w* iylin a-H-ddun fellas. 


33 

Atas ay-guyen lmitaq 
ddnub iâalleq 
d ftbih izga yef iri s 

Ur-k-ineq ur-k-iàatteq 

d ssaâd is isaq 

Rebbi yeiha deg ccweyl is 

Ay ahnin issedharen lheq 
fihel ma nenteq 
amcum a t id yas wass is. 


. Pour feiU. 


38 


26 


Ben Toumi assiste-moi 
Le destin s’est saisi de moi 
Mais tu veilles sur mes déficiences 

A quoi bon un travail qui n’en est pas un 
Mieux vaut chômer 
A force d’acheter à crédit on se ruine 

Effrayante cette génération 

Superbe en parole 

Mais qui t’achève, si tu tombes. 

33 

Beaucoup qui ont adhéré à une confrérie 1 
Ruissellent de péchés 

Lors même que le chapelet ne quitte point leur cou 

Ils ne te tuent ni ne te sauvent 
Toutes leurs vannes fuient 
Et Dieu s’occupe de régler leur sort 

Dieu de bonté qui fait éclater la justice 
Sans même que j’aie besoin d’ouvrir la bouche 
Fais que du méchant le jour arrive. 


1. Au milieu du XIX* siècle, sans doute comme contrecoup à 
l’occupation étrangère, les confréries religieuses ont connu un re¬ 
gain de faveur Celle des Rahmanya en particulier a joué un rôle 
essentiel dans le soulèvement de 1871. 


39 






37 


La tamen ddenya la tdum 
d mefruyt nnjum 
ikerri tluqb it tayat 

D lbaz izeggwiren i Iqum 
yeffey d ameybun 
bat tura seddu tesdat 

Àklan issiriden aksum 
s zzbel hacakum 
ffyen d s llebsa n iqat 


VARIANTE 

DDunit a d m lehmum 
nettat ur te^dum 
d ikerri tberrz it tayat 

Lbaz izeggwiren i lqum 
ahat deg-wnezgum 
d aklan a-grefden tacdat 

D ifassen ige??ren aksum 
d lfert hacakum 
qqwlen ar llebsa n lqat. 


40 


37 


Ne te fie pas au monde il ne dure pas 

Il peut démentir ton étoile 

J’ai vu la chèvre insulter le bélier 

Le faucon qui allait en tête des foules 

Aujourd’hui pauvre hère 

Est devenu la proie des battues 

Des bouchers 1 qui lavaient la viande 
De sa bouse saur votre respect 
Sortent maintenant vêtus richement. 

VARIANTE 

Le monde est lieu de scandales 

Encore qu’il ne dure pas 

J’y ai vu la chèvre encorner le bélier 

Le faucon qui allait en tête des foules 
Est dans l’aifliction 

Les bouchers maintenant ont du crédit 

Les mains qui débitaient la viande 

Et sauf votre respect nageaient dans les tripes 

Maintenant s'habillent richement. 


1. La profession de boucher était décriée et exercée presque uni¬ 
quement par des hommes de statut diminué (akli veut dire ne même 
temps noir, esclave et boucher). 


41 







39 


Lqern agi yesserhab 
deg rebhen leklab 
te|j?em a Wlad-babelleh 

S lmehna nnsen ay ncab 

d rray iw iyab 

semman i dderya m-Malah 

Ggiy cci nett&l&b 
mi d Uuday muhah 
ccah a rray iw ccali. 


43 

Ddenya m bu yedrimen 

la t tteyyiden 

tinid a medden yeyra 

D ihcayciyen ay-gendellen 

si tmurt a yaben 

wa d aàsekriw wa ibusa 


42 


39 


Ce siècle épouvante 

Qui fait le bonheur des chiens 

Et qui vous a brisés enfants de la bohème 

De les fréquenter a blanchi mes cheveux 
Egaré ma raison 

On m’a surnommé Fils de Hélas 

Je renonce à ce que je convoitais 
Puisque le Juif est craint 
Tant pis pour ma raison tant pis. 

43 


Le poète entendait appeler Si Hamou un homme qui 
navait fait aucune étude pour mériter ce titre de * Si » réservé 
aux clercs. Il dit : 

Le monde est à ceux qui ont l’argent 
On leur donne du Monsieur 
Tout comme si c’était des clercs 1 

Les hachaïchis 2 ont été avilis 

Bannis de ce pays 

L’un dans l’armée l’autre en prison 


1. On fait précéder le nom de ceux qui sont versés dans les scien¬ 
ces, en particulier théologiques, de la particule « Si » (Monsieur). 

2. Le mot veut dire tout à la fois fumeur de hachich et bohème 

noble et désintéressé. * 


43 




Tura ddenya bbuudayen 
la ttemhawaden 
ttaken a y duru s xemsa. 


55 

A kra iferzen id yef-fas 
kulci tezmerm as 
refdet a ssyadi lyemma 

D ddeny’ i-graben f Usas 
lfahem yesla-y-as 
adrar yeyli d wa yef-fa 

W* innumen laaz i^wakkes as 

tbeddel felias 

ttif Imut tudert am ta. 


56 


Helkey ur telli ssebba 
nuday laulama 
ur ufiy ddwa yursen 

Tekka felli leywlaba 
si tmurt m baba 
rewlen laibad i-y-issnen 

Nfiy d yer tmurt 1-lyerba 
m* atrum a ttelba, 
laaqul isenteqqiden. 


44 


Le monde maintenant appartient aux Juifs 

Qui vont s’enjuivant l'un l'autre 

Et nous prêtent de l’argent à cinq cents pour cent. 


55 

Puissances qui distinguez du jour la nuit 
Vous pouvez tout 
Messeigneurs dissipez la brume 

Le monde est ébranlé jusqu’en ses fondations 
Le sage l’entend bien 

Les montagnes s’écroulent l’une sur l’autre 

Tel qui avait coutume d’être honoré ne l’est plus 
Son sort est bouleversé 

Mieux vaut la mort que la vie que nous vivons. 

56 

Je suis malade sans raison 

J’ai consulté les savants 

Sans trouver remède auprès d’eux 

Je suis écrasé 

Du pays de mes pères 

Ceux qui me connaissaient ont fui 

Je me suis exilé en terre étrangère 
Clercs pleurerez-vous 
Esprits qui saisissez tout. 


45 









61 


Tikli bbwebrid * a \ nensex 

d adar iw yenfex 

ccib deg-gudem iw ihreq 

Itij ger wallen iw ifsex 
s ssekra ndewwex 
ul iw iby’ ad ifelleq 

S kra- bbwi ggiy d imwesscx 

tura yetneffex 

iffey d issen ad isewweq 


71 


Aftaya ssura w tdub 
cbiy Sidna Ggub 
ttaafan yelbey amesmar 

Kulci yur Rebbi mektub 

ssàa ye^nub 

ssâa ihedder i-wxessar 

Yugi wul iw ad itub 
ad fuken lâayub 
alarmi d àadday Sancar 


61 


Il faut que j’écrive mon dernier voyage 

J’avais le pied enflé 

La barbe toute brûlée de cheveux gris 

Le soleil palissait devant mes yeux 
Assommés par l’ivresse 
mon cœur était près d’éclater 

Tous ceux que j’avais laissés souillons 
Etaient maintenant pleins d’arrogance 
Ils avaient appris à commander. 


71 

J’ai les membres tout meurtris 
Me voici comme Job 
Plus sec qu’un clou 1 

Dieu a tout prédestiné 
Un jour il vous assiste 
Et un jour il contemple vos calamités. 

Mon cœur rebelle au repentir 

Refusait d’oublier ses vices 

Jusqu’à ce que j’eux passé Saint-Charles 2 


1. Variante : 

Tel est mon état, 

2. Saint-Charles : village de la région de Skikda (Philippe vil le). 


47 




D zzher iw ay d lmeqlub 

kullas d lyuyub 

isem iw ur iban laqrar 

Si Skikd’ alarmi d Lexrub 
di tmurt 1-Làurub 
lhiy iberdan yef-dar 

Ala àallam lyuyub 
ay-gezran leqlub 
içça yi ujajih n nnar. 


73 


Ferhen akw medden s laid 
nekwni nessikid 
veqber wul di lemhani 

Agad thubbed a Lewhid 
yran di ttuhid 
fehmen irkwel lemaani 

Ma d nek zzehr iw di lqid 
aqli deg-gir brid 
nectaq anwali lhenni 1 . 


1. Variante de la 3 e strophe : 
Ma d nek zzehr iw di lqid 
aqli deg-gir brid 
ternid id lmehna 1-lkif 


48 


Mon destin procède à rebours 
Il me pousse à partir chaque jour 
Et mon nom oublié s est perdu 

De Philippeville au Khroubs 

En pays bédouin 

J’ai parcouru à pied les routes 

Seul celui qui voit les choses cachées 

Lit dans les cœurs 

J’étais brûlé de flamme et de feu. 

73 

C’était l’Aïd chacun se réjouissait 
J’admirais le spectacle 
Le coeur gonflé d’affliction 

Ceux que tu aimes mon Dieu 

Y ont lu les livres saints 

Ils en ont compris tous les sens 

Moi mon bonheur dans les fers 
A pris la voie mauvaise 
Je languis de voir le henné L 


1. Variante de la troisième strophe : 

Moi mon bonheur est dans les fers 

J’ai pris la voie mauvaise 

Et tu m’ajoutes l’épreuve du kif. 


49 




75 75 


Grey d nnehta s lyec 
aqJay nedderwec 
ntett lehram nettaammid 

Je soupire oppressé 

Me voici tout dément 

Péchant sciemment 

Albaad izha yetfehcec 
ij-beddil di lqec 
iyli di Ikeswa d ajdid 

Tel se perd dans les plaisirs 

A chaque instant change d’effets 
Prenant chaque fois des habits neufs 

Lamçi am nekwni ibec 
f lbenk i nferrec 
di iqahwa av neçça laid. 

Mais sur moi Dieu a craché 

Et c’est affalé sur un banc 

Au café que je passe l’Aïd. 

77 

77 

Laid d ttlata av nnan 

ttelba veyran 

widak "thabbed a Rebbi 

L’Aïd c’est mardi disent 

Les doctes clercs 

Aimés de toi mon Dieu 

Abaad yeçça \ deg-wexxam 
iaagged s lewqam 
ma yerna jjwag 1-laali 

Tel en sa maison 

Passe une fête heureuse 

Surtout s’il a une femme agréable 

Nekwni di Sidi Remdan 
naammed i lehram 
neyli di labsant sari. 

Et moi rue Sidi Ramdane 

Je péchais sciemment 

En me noyant dans l’absinthe. 


50 


51 








79 


Qesdey di laid nn* a-n-nas 
seg-gu! sebbeby as 
tamurt ad-d-nzur iscm is 

Gezmey limin dayen xlas 

llebsa htaley as 

qdiy d akw vefra cceywl is 

Ziy ur iktib uâassas 
ttwarzey a nnas 
ur vemlik hed rray is. 


80 

Laid tamweqqrant tebbwed d 
w* izhan issard d 
w* isaan tahbibt a-t-yafer 

Ma d nek ul iw indef d 
d idrimen ulahed 
izn w iyleb laawanser 

Txilek a Balwa qerres d 
Saadiyy* Afti-Mhend 
a-t-tezzud deg laawacer. 


52 


79 


J*avais décidé de venir à la dernière fête 
Ma résolution était ferme 
J*allais visiter le pays 

J*en avais fait le serment définitif 

Je m’étais procuré des vêtements 

Fait toutes les emplettes jusqu’à la dernière 

Mais tels n’étaient pas les vœux des saints 
Hommes ils m’ont ligoté 
Nul n’est maître de sa volonté. 

80 

Voici venue la grande fête 1 

Les heureux prennent des habits nets 

Qui a une amie échange avec elle le baiser du pardon 

Moi la blessure de mon cœur s’est rouverte 
Je n’ai pas d’argent 
Et mes larmes coulent 
[plus abondantes que les sources 

Baloua 2 de grâce frappe 
Fais que de Sadia Aït Si Mhand 
Un jour de fête le cœur cuise. 

1. Il y a deux Aïds : la petite qui clôt le jeûne du Ramadan, et 
deux mois et dix jours plus tard la grande, où. l’on commémore le 
sacrifice d’Abraham en égorgeant un mouton. 

2. Marabout dont le sanctuaire se trouve sur la colline de ce nom 
qui domine Tîzi-Ouzou. 


53 








84 


Lâid tàadd’ am-madu 

kullec yejfuku 

yas Rebb’ ara d iqqimen 

Albâad icedha seksu 
ad yeç ad irwu 
ad imyafar d ihbiben 

Maççi am bu daâussu 
di lyerba yetru 
iâaggeden ger ibermilen 

Ay atma widak nettu 
nemmekti d nefcru 
d ddeny’ ay gesnehwijen 

Kul taswaàt nekwni ndaâu 
yer tmurt annerzu 
d aassas ay d isawlen. 


85 


Lefraq iyleb aven illan 
Ay ul a-k-vurgan 
wissen a lehbab m’anncmlil 

Lyiba tdul ur nuksan 

ur telli d ussan 

ma ruy a medden akk’ ahlil 


54 


84 


Elle est passée comme le vent TAïd 
Tout a une fin 
Et Dieu seul survivra 

Tel privé de couscous 

Rêve d’en manger à sa faim 

Et d’échanger avec ses amis le baiser du pardon 

Ce n’est pas comme le maudit qui 
Dans l’exil pleure 

Et passe la fête au milieu des tonneaux 

Frères un instant oubliés 

Je me ressouviens de vous et je pleure 

Mais la nécessité m’a contraint 

A chaque instant je fais des vœux 
Pour retourner au pays 
Où les saints me rappellent. 

85 

La séparation est le pire des maux 
Mon cœur que d’épreuves t’attendent 
Qui sait amis si nous nous reverrons 

Mon absence longue malgré moi 

Ne se compte plus en jours 

Aussi hommes est-ce à raison que je pleure 


55 








Iyeblan Ixiq d wurfan 
f Ixater iw zgan 
yur Rebbi nerga ttawil. 

86 


Tcbaay itij s wallen iw 
yer Igiha n tmurt iw 
yer Iyerb iaadda isufer 

Amek ara yezhu Ixater iw 
ggiy n ihbiben iw 
ttejra 1-îmesk d Iaamber 

A Rebb’ ili di laawn iw 
d amehzun wul iw 
Iyerb’ ay \ irnan d ssber. 


88 


I{ru wul maadur yak xas 
a-gaaddan felias 
ijreh m’ara d iffekkir 

A-gdur Lleh g Imeljna s 
ne^naji kullas 
ssaddat kbir u ssyir 

Siwelt ay d neby’ a-n-nas 
lyerba atas 

iyab yisem iw ur vehdir. 


56 


Souci ennuis colères 
Hantent mon coeur 
De Dieu j’attends l'entremise. 

86 

Je suivais des yeux le soleil 
En route vers mon pays 
Il poussait vers l'Occident sa course 

Comment mon cœur connaîtrait-il la joie 
J’ai laissé là-bas mes amis 
Parfums de musc et d'ambre 

Assiste mon Dieu 
Mon cœur endeuillé 

Envoie-lui la patience comme remède à l'exil. 


88 

Mon cœur pleure et c'est à raison n'est-ce pas 
Il a tant subi 

Qu'il saigne chaque fois qu'il se ressouvient 

Qui Dieu n’a-t-il pas éprouvé 

Nous nous plaignons à Lui chaque jour 

Et aux saints grands et petits 

Rappelez-moi je veux revenir 
Trop longue a été mon absence 
Mon nom perdu s'est oublié. 


57 









93 


Ay itbir a gm’ a k nissin 
huz îegnah i sin 
abrid ik ans’i d nekka 

S leqlam aru tibratin 
yer wanda {filin 
lehbab akw d nefyama. 

Ma llan igad iffethin 
ard ay d mmektin 
yefru wul tejreh tasu. 


VARIANTE 


A lbaz di lhedra {hessin 
huz Iegnah i sin 
ar t il ici seg Ikweyyas 

Ttiled i wedrar akin 
awi tibratin 
mkul ahbib hku vas 

Ma llan leqlub ijhinnin 
ard ay d {mektin 
aqcic lyerba Ihekm as. 


58 


93 


Ramier mon frère que je t’éprouve 

Balance les deux ailes 

Et prends le chemin du pays d’où je viens. 

Tiens la plume adresse des lettres 
Là où sont 

Les amis avec qui j’allais 

S’il en est qui ont quelque pudeur 
Qu’ils se souviennent de mon 
Cœur en larmes de mon âme blessée. 


VARIANTE 


Faucon écoute bien mon message 
Avant de déployer tes deux ailes 
Sois de ceux qui comprennent 

Par-delà la montagne 
Emporte mes lettres 
Et raconte à chaque ami 

S’il est encore des cœurs qui s’attendrissent 
Qu’ils se souviennent de moi 
Enfant prédestiné à l’exil. 


59 







99 

A l a wul iw ittemhcbbar 
Si Ikif d lexmer 
ay fkiy leby’ i Ixaler iw 

Usiy d aqli d atiyvar 
a Ifahmin lehrar" * 
dhiy-d d ayrib di tmurt iw 

Asmi Iliy bàadey laqrar 

ur bbwiy lâar 

tura venguga wu] iw. 


102 

Wehmey acu d lgil a 
i d ikkren tura 
i tteqsar i-y-{hibbin 

Mi nekker annebdu lqessa 
inin maçç’ akka 
awi-y-ay d af tehdayin 

Audden ur ay hwint ara 
tid immden swaswa 
ggant ul iw d amudin 

Mi t luaay trekb i lherna 
amzun d zzayla 
yuyen tannumi t-temzin. 


60 


99 


Mon cœur est tout agité 
De kif et de vin 

Tant je me suis accordé tous les plaisirs 

Me voici tel Toiseau de passage 
Cœurs perspicaces et bien nés 
Etranger dans mon propre pays. 

Du temps que jetais loin perdu 
Je n ai pas accepté l'opprobre 
Maintenant mon cœur branle. 

102 

Etonnante la génération 
D'aujourd'hui 

Qui ne m'aime que pour ses plaisirs 

Dès que je commence un poème 
On me dit Non 
Chante-nous les filles 

Ils me croient insensible 
A celles qui ont bien poussé 
Quoiqu’elles aient causé mes maux. 

Dès que je lui 1 adressais la parole 
[ma langue devenait rétive 
Ainsi la bête de somme 
Habituée à sa ration d’orge. 


1. Ce pronom (féminin singulier dans le texte berbère) désigne 
la fille que le poète poursuit de scs vœux. 


61 










107 


Laamer ur ineqqes ur iççad 
a Lguher urÿagwad 
seg ul im kkes ttexmim 

Ay ahnin ay ajewwad 
a fettah lubab 
rfeq yef tuzyint Jyim 

Taqcict afta deg lhisab 
bezzaf tennaatab 
a ccix Muhend-u-Lhusin. 


109 


Ataya wul iw inug 
am îehher yetmuj 
yef tin àazizen felli 

Dehbiyy* asegmi 1-leslug 
igman di lemrug 
tezweg yer wcdrar tu li 


62 


107 


Eldjhouher, que le poète semble avoir en vain poursuivie 
de ses avances, est depuis longtemps dans Us douUurs de l'enfan¬ 
tement, en vain, Elle sait d'où vient U mal, et fait appeler Si 
Mohand, qui dit ce poème ... et l'enfant vint. 

Les années imparties n augmentent ni ne diminuent 

N’aie point peur Eldjouher 

Chasse de ton cœur toute inquiétude 

Dieu noble et bon 

Toi qui ouvres les voies 

Dissipe la brume pour la belle fille 

La voici dans la géhenne 
Et par trop éprouvée 
Cheikh Mohand-ou-Elhocine. 


109 


Mon cœur lamente 
Houleux comme la mer 
Pour la fille de moi aimée 

Dabhia tige d’asphodèle 
Poussée dans les prés 

S’est mariée Elle s’en est allée dans la montagne 1 


1. Le village de Mohand cît dans la zone de piémont qui flanque 
au sud la crête de Fort-National. 


63 




















Ma t-tura rrehl is iggug 
titbirt yef ttrug 
tegga azniq d ixali. 


114 


U1 yehlek udem iw idaaT 
a lwaad m* iv* ittef 
ulac igad iy’ icfan 

Win tufid ad itkwellef 
nuday J id si tterf 
Leqbayol akw akken llan 

Indel w illan d làaref 
iheggan lherf 
hefden ttuba vidan 

Ttewtey am-zrem s iyef 
Aani day nunef 
waqila iyleb i ccitan 

Mi [ seggmey tàawj i yer tterf 
av wehmey acuyef 
Imehna teywzi bbwadan 

Tebàaj lhejl* a \ nettef 
nek Auddey atwalef 
nettat tebya d w’isAan. 


64 


Ore est partie la caravane 

De la colombe haut perchée 

Et la rue derrière elle est restée vide. 

114 

Le cœur malade le visage maigri 

Je suis prisonnier du destin 

Nul ne se souvient plus de ce que j’ai été 

Le premier venu a le pouvoir 
J’ai parcouru de part en part 
l^e pays kabyle tout entier 

Eclipsés sont les sages 

Qui ont étudié tous les écrits 

Et les chiens ont appris la dévotion 

On m’a comme le serpent frappé à la tête 

Me serais-je fourvoyé 

Satan sans doute s’est joué de moi 

Sitôt redressé mon état de nouveau penche 

Et je me demande étonné 

Pourquoi les épreuves les nuits longues. 

J’ai poursuivi la perdrix 1 sûr de l’atteindre 

Et à la fin l’amadouer 

C’est un homme riche quelle veut. 


1. La femme aimée. 


65 




118 


Aqliv* am zerzur newqef 
ihuza yi ccdef 

d Rebb’ a graden ur nuksan 

Aacqey di zzin laali 1 
ur yugad Rebbi 
ay cabey nek d amezzyan 

Lhiy agris d lyali 
ur iban felli 

anda ddiy zzwamel qwan 


122 

Tasedda iraàden tuywas 

zdat At-Aabbas 

mi s nnan medden nerhel 

M timmi taakef am leqwas 
amzur ar ammas 
tibbucin is d ifelfel 

Melt iv’ anida lhara s 
ard rzuy fellas 
ma âreqey as ad ii taâqel. 


1. Changement de rime rare chez Si Mohand. 


66 


118 


Me voici comme l’étourneau cloué 
Par des liens trop lourds 
Dieu l’a voulu Je n’y puis rien 

L’amour d’une beauté sans égale 
Mais sans pitié 

M’a fait les cheveux blancs malgré ma jeunesse 

J’ai marché dans le gel et la nuit 

Sans qu’aucune lueur luise pour moi \ 

Où que j’aille pullulent les vauriens. 


122 


La lionne rugit et hurla 

Devant tous les Aït-Abbas 

Quand elle apprit que j’avais décampé 

Elle a sourcils arqués 
Cheveux jusqu’à la ceinture 
Seins pimentés 

Où est sa demeure dites-moi 
Que je m’y rende 

Elle se ressouviendra si même elle m’avait oublié. 


67 











123 


Nek idem a tuzvint lefraq 
yerreb ney cerreq 
Ixedâa ssgem ay d ekka 

Afwad im fellam yehreq 

d iyes iceqqeq 

Ihub iw degm iwekka 

Yak tura yedher nefreq 
nezga d nàawweq 
bettu cubay t d azekka. 


124 


Ataya làaqel iw yesleb 
d lmehna w tesâab 
sàiy lâib nhemmeq 

F tuzyint nug’ anjaneb 
d rray yeddebdeb 
g lhal nezga d nâawweq 

Irtah win ur njerreb 
lefraq ay gesâab 
d wi àazizen s laâceq. 


68 


123 


Belle fille quittons-nous toi et moi 
Prends vers Touest ou prends vers Test 
De toi est venue la tranison 

Mon cœur pour toi brûlait 

Mes os se fêlaient 

En toi mon amour était enté 

Notre dissentiment est maintenant évident 

J’en suis tout stupéfait 

La séparation est amère comme la tombe. 


124 

Mon esprit est tout égaré 
Ma peine rude 

J’ai le défaut d’être passionné 

Je ne puis me séparer de mon aimée 
Ma raison assommée 
Se trouve ainsi prisonnière 

Heureux qui n’a pas éprouvé 
La dure peine d’aller loin de 
Qui l’on aime d’amour. 


69 




125 


Lherf iw idda f ssad 
yak Rebb* iwessa d 
w iâacqen di zzin merhum 

Nek akw t-taâzizt nemsebda d 
si lqum ahessad 
usrey am yitbir aksum 

Tura mi-y-uyey lurad 
ggiy Ifisad 

qqwley la ttabâay ayrum. 


136 

Zziy legnan d imselles 
kulci yella dges 
zerrbey-t id xedmey-t s-lmul 

Ixled iTemman d ifires 
kul tejra la ttes 
ay-gziden degs a iemkul 

Tura mi d nnejm is vaâkes 
d aybub la s ikes 
berka rriy tadimt i wul. 


70 


125 


Mon poème prélude en S 
Dieu n a-t-il pas promis 
Sa grâce aux amants 

Mon aimée et moi nous avons rompu 

A cause de ce siècle jaloux 

Et me voici comme un pigeon décharné 

Maintenant je me suis rangé à la dévotion 
J’ai renoncé aux péchés 
Et je cours après le pain. 


136 

J’avais planté jardin ombreux 

Pourvu de tout 

Clos et cultivé avec soin 

Grenades et poires s’y mêlaient 
Chaaue arbre y était irrigué 
Combien de doux fruits s’y pressaient 

Maintenant c^ue le destin m’est contraire 

Une bécasse s en repaît 

Assez J’ai scellé mon cœur d’une dalle. 


71 



138 


Zziy legnan d amezzyan 
af terga bbwaman 
traguy t ad innerni 

Rriy as lesdud qwan 
mlalen isegman 
iger d lheb d afrari 

Ibbwa d ad jahden vidan 
d zzehr ay saan 
stafirelleh a Rebbi 


139 


Zziy legnan s lxetvar 
qwan degs lenwar 
s kr i d dekkren yilsawen 

Laâneb lehmerbwaàmer 
lxux am làamber 
lehbeq d Iwerd mlalen 

Yak nedder ywezzif lâamer 
alarmi nehder 
ksan as imeksawen. 


72 


138 


J’avais jardin de jeunes plants 
Le long du canal 
Et j’attendais qu’il eût grandi 

J’y menai l’eau de barrages abondants 
Les pousses en vinrent drues 
Les Fruits s’y pressaient 

Il mûrit... Ce fut pour le bonheur des chiens 
Servis par leur chance 
Pitié mon Dieu. 


139 


J’avais planté jardin exquis 
Empli de toutes les fleurs 
Que les langues peuvent évoquer 

Raisin rouge 
Pêches d’ambre 
A côté du basilic la rose 

N’ai-je pas assez longtemps vécu 

Pour voir de mes yeux 

Les bergers y mener leurs troupeaux. 


73 


146 


Wi yewten deg ney lasmah 

deg-gul av nejreh 

armi la nzehhu s nneqma 

D lâaceq i-gezzelgen lervah 
lamçi day njah 
ur iksan hed lewqama 

Tebâay rray iw isah 

di lmehnat yenseh 

larmi d vegwra deg nndama. 


151 


A sseltan bab 1-lkwelfa 

dàay k s ccurafa 

si Balw’ ar Ssi Hend Wedris 

Igad ixeddmen s ssfa 
iheddren di Ibadna 
mkul ssid s visem is 

Aqcic d Ifahem yeyra 
di lwaâd iweffa 
terred as d imeddukal is 


74 


146 


Quiconque me blâme qu’il soit sans pardon 
Ma blessure est intime 

Et pour cela je m’adonne aux plaisirs par défi 

La passion a gauchi ma volonté 
Ce n’est pas que je sois pervers 
Nul n’a le mérite de ses vertus 

J’ai suivi ma raison Elle s’est égarée 
S’est enfoncée dans les épreuves 
Avant de finir dans le repentir. 

151 


Maître à qui va toute fiance 
Je t’invoque par les chorfa 1 
Depuis Baloua jusqu’à Oudris 2 

Par les saints aux actes purs 
Associés aux divins secrets 
Appelés chacun par son nom 

A l’enfant intelligent instruit 
Fidèle à la promesse 
Rends ses compagnons 


1. Pluriel de chérif, descendant du Prophète. 

2. Sidi Ahamed Oudris, saint des Illoulen-Oumalou, entre le 
col de Chellata et celui de Tirourda. 


75 



Ata wul iw yctfafa 

immuyben verfa 

ihar meskin deg lâamer is 

Busan tarrawt n ccerfa 
meccden lhelfa 
Ay gxeddem Lleh g ccan is 

Texled tirect d ukwcrfa 
akk’ ay \ vufa 
uhcavci deg-gwawal is. 


166 


Ihlek wul qrib nemmut 
zzav felli lqut 
nekwni f ssebb* ay nella 

Di yir awal nesmuzgut 
ar degs nesnunnut 
armi-i vuyal d làalla 

Ad ruhey ad beddley tamurt 
a lfahmin cfut 
amkan {raguy yexla. 


76 


Mon cœur sans cesse tressaille 
Et chagrin irrité 

Est le pauvre pressé de rendre 1 ame 

On a condamné les fils de chorfa 

A peigner Talfa 

De par ta volonté mon Dieu 

Mêlés sont le grain et Tivraie 
Ainsi le proclame 
Et son dit le hachaïchi \ 

166 


Malade est mon cœur et j’ai manqué mourir 
Toute nourriture m’est amère 
Il suffit d’un rien... 

J’entendais propos malveillants 
Et les ruminais 

Comme un boulet en mon ventre 

Je vais partir et changer de pays 
Hommes sages souvenez-vous 
Vide était le lieu de mon attente. 


1. Ce poème a été composé lors de la détention en Corse de Si 
Belkacem, un des compagnons de Mohand, condamné pour avoir 
tué un soldat qu il avait trouvé devant sa porte. 


77 







176 


Auhdey tikli d lemselmin 
at wachal d ddin 
widak ur nesài lmedheb 

yer làar ay saan tismin 
s yisey ftethin. 

Ay ul iw berka k leyseb 

Mi teyiid hed ur k issin 
medden akw d lkaràin. 
Akk' axir ilha wjerreb. 


190 


Qessam agi d bu tlufa 
yen d yestufa 
a s tinid nyiy baba s 

Albaad zzin d ssifa 
lgud lehlawa 
kulhed ifka-y-as ayla s 

Nek i-y’ igga d akwerfa 
isers it g lqàa 

inna vi ddem it ney anef as. 


78 


176 


Je le jure je ne fréquenterai plus les Musulmans 
Ils ont tant de fois 
Et pas de principes 

Ils rivalisent dans l’opprobre 
Ils ont honte de la vertu 
Cesse mon cœur de t’en indigner 

Nul ne te connaît quand tu tombes 

Tous les hommes sont faux 

Mais tant mieux toute expérience est utile. 


190 

Dieu qui se plaît à poindre 
Ne s’occupe plus que de moi 
A croire que je lui ai tué son père 

L’un a teint éclatant beauté 
Noblesse et urbanité 
Chacun selon son lot 

A moi il a gardé l’ivraie 

Il l’a posée à terre 

Et puis m’a dit Prends ou laisse. 


79 


191 

Aw’ 4run ard idderyel 
Mi \ jemâay tennyel 
wehmey ans’ iy’ id àakes 

Qessam agi d zzamel 
kulyum d ahellel 
dayem ne^naji yures 

Ifka i w-ur-aeili d lefhe! 
issager qwrenfel 
Nekwni di lkur ay nettes 1 . 


199 

A Lleh kec d arezzaq 
isidiren ineq 

kul yiwen iàac di tmurt is 

Albâad tefkid as lerzaq 
kul lgiha ixerreq 
tasekkurt deg-gwexxam is 

Albâad terri-t i lemcaq 

zzelt u laàceq 

yusa d d lyayeb rray is. 


1. Boulifa (152) donne une version qu’il suppose être une va¬ 
riante d’un poème de Si Mohand : 

5 - rgiy t yaattèl 
7 - Albaad ifka-y-as d lkamel 
di rrezq d axemmel 
nek yefka yi d d nnaqcs 


80 


191 

Ah pleurer jusqu’à en perdre la vue 
Mon vase si tôt empli verse 
Je ne sais d’où me vient le tort 

Ce Dieu est un être abject 
Je l’implore chaque jour 
Chaque jour je me plains à lui 

Il comble les fripouilles 

Les gave de parfum de girofle 1 

Et moi je passe la nuit dans une écurie 2 

199 

Mon Dieu tu es le dispensateur des richesses 

Tu fais vivre et mourir 

Tu permets à chacun de vivre en son pays 

A l’un tu as donné les biens 

En tout lieu foisonnant 

Et dans sa maison la femme aimée 

Tu as condamné l’autre à la détresse 
A la misère et à l’amour 
Tu as égaré sa raison. 


1. Les clous de girofle, tels quels (aaqqa n qrenfèl) ou réduits en 
pâte (ssxab), sont fort prisés des femmes, qui en mettent en parti¬ 
culier dans leurs colliers (tazra n ssxab). 

2. Variantes Boulifa (152) : 

5 - Je l’attendais mais il se faisait long 
7 - A l’un il accorde tous 
Les biens en vrac 

A moi il a donné parcimonieusement 


81 




205 


Ddunit a d lmeyluq 
laabd akw mehquq 
ulac winna yethennan 

Albaad iketb it merzuq 
irkwelii mesduq 
iaac ur isai legnan 

Lmelk yusa d kul ssuq 
la iferreq lhuquq 
lkutub akk’ ay d nnan. 


207 

Lefhama win mi £ ifka 

teyleb ttrika 

abaad meskin d igellil 

Bab is ibbwi lbarakka 
ihedder s ssfa 
ur ixeddaa ur ijhevyil 

Maçç’ am in tebbwi lhawa 

la ddin la lmilla 

mi % iaabb' ad as tmil. 


82 


205 


Ce monde est une geôle 

Où chacun est justiciable 

Où nul ne jouit d’un bonheur tranquille 

L’un promis à l’opulence 
Et crédit plein 

Vit sans même avoir un jardinet 

L’ange parcourant les marchés 
A chacun a donné sa juste part 
Ainsi disent les livres. 

207 

Mieux vaut avoir reçu l’intelligence 
Que la fortune 

D’autres pauvres d’eux en sont dépourvus 

L’homme intelligent est béni 
Il parle en toute vérité 
Il ne trahit ni ne ruse 

Un autre esclave de sa fantaisie 

N 1 a ni religion ni principe 

Ses projets croulent aussitôt que dressés. 


83 





217 


A Qessam a bu ttemrit 
tenyid i s tissit 
berka k ttiha tura 

Lukan d ccraâ naâtad it 
Ay gebyu nefk it 
Tenqett iyi ger lâamma 

A Rebbi w iwten jerreb it 
di tullas herrem it 
shedr it i wuzu n tasa. 


219 

Annay a Rebb’ ar k nyid 
aqli am in tenyid 
yif iyi âad s rraha 

Saura w tetquddur d nnfid 

irkebiyilyid 

Lhem ittef i seg ddbiha 

Sber ay ul ul’ ay tinid 
d nnuba bbwiyid 
knu atâaddi Imehna. 


84 


217 


Dieu d*affliction 

Tu m’as tué de boisson 

Assez maintenant de te jouer de moi 

Si c’était affaire de justice je l’aurais entreprise 

Quel qu’en fût le coût 

Car tu m’as frustré parmi les hommes 

Quiconque me blâme mon Dieu éprouve-le 
Prive-le de filles 

Mets-lui douleur cuisante au cœur. 


219 


Las pitié mon Dieu 

Je suis comme celui à qui tu as envoyé le mort 
Encore a-t-il sur moi l’avantage du repos 

Mon corps comme cire dégoutte 

Tout chargé de misère 

Les malheurs me prennent à la gorge 

Tais-toi mon cœur tu n’as rien à dire 
C’est maintenant le tour des autres 
Plie que passe l’épreuve. 


85 




225 




Lukan d rray ur itlif 
ad aahdey Ikif 
sbeslen iqewwaden 

Kul tamurt ibda-f s lhif 
isserbeh lewsif 
igwra d w’illan d lfahem 

A Rebbi sefd ay lhif 
a-k-in yawed nnif 
tura d nnuba igellilen. 


226 

Maççi d jjih ay njah 
a ssyadi ssellah 
t-tagwniÇ i gbeddlen feilay. 

Asmi yi d hubben leryah 
refden ay lemlah 
mekkul leblad ssnen ay 

D zzman i-y-iggan neftleh 
welleh ma neççeh 
annesber i Iwaad ma yutlen ay 

Kra yewten degney lasmah 
ad yuyal ssbeh 
ad yeblu s lehlak nney 

1 


86 




225 


Si ma raison n était point égarée 
J’aurais juré de renoncer au kif 
Galvaudé par les proxénètes 

En tout lieu Dieu a fait des partages affligeants 
11 a fait le bonheur de l’esclave 
Et jeté au rebut l’élite de l’esprit 

Efface mon Dieu notre misère 
Tu y es tenu 

C’est maintenant le tour des malheureux. 


226 

Ce n’est pas que je sois perdu 
Saints patrons 

Ce sont les temps qui ont changé pour moi 

Lorsque les vents m’étaient favorables 
J’étais choyé de l’élite 
Et en tout pays renommé 

Le siècle m’a condamné à la honte 

Mais par Dieu qu’importe 

je prendrai en patience mon destin malade. 

A qui me blâme point de pardon 

Un matin viendra 

Où il souffrira de mon mal même 


87 



Ma n nekwni tur* anncrbeh 

a tas ay nejrelt 

bbwden lehdud fellaney. 

228 


Ataya wul iw yuydad 
a Hebbi tdalmcd 
kfant Ichwayeg nelsa 

Dcg zik inu d ttaleb 
n settin hizeb 
lketba w di Imadersa 

Tura imi ncab nyelled 
s ccrab la nxelled 
atnaared a Sidi Musa. 


233 


Laayub tragun tewser 
a Ifahem a-k-nendcr 
wi mezziycn ad i fa res 


88 


Quant à moi maintenant je vais être heureux 
Trop longtemps j'ai été blessé 
Le terme de mes épreuves est échu. 


228 


Mon cœur sur soi-même s'apitoie 

Tu le sais mon Dieu 

Les habits que je porte sont usés 

Jadis j'étais clerc 
Aux soixante sourates 
J’étudiais dans les medersas 

Maintenant vieux et dévoyé 
J'arrose de vin mes repas 
Sidi Mousa 1 secours-moi 

233 


Les tares attendent la vieillesse 2 
Sage que je t'avise 

Profite des plaisirs tant que tu es jeune 


1. Sidi Mousa, saint dont le sanctuaire se trouve à Tinebdar, vil¬ 
lage de la région de Sidi Aïch. On y trouve une école koranique 
renommée. 

2. Expression proverbiale courante. 


89 



Ilha w’iteddun s nnder 

ddunit tewaar 

win t itbaan ad as tames 1 

Antelb Rebb* ad ay vesser 
iaaffu iyeffer 
rrehma deg-wfus ines. 


234 


A kra issehlan sidna Ggub 

ssura s tdub 

sehlut i ula d nekkini 

Daay k s at hel lqurub 
iyran di lkutub 
ptilek a Lleh dawi yi 

yer ccib hedfen d laavub 

sura w tdub 

Uaa inek a sidi Rebbi. 


1. Variante : 

zwir i; qebl a-k-tames. 


90 


Procède avec discernement 

Apre est le monde 

Il marque quiconque s*adonne à lui 1 

De Dieu j'invoque l'assistance 
Le pardon la miséricorde 
Il tient en sa main la Grâce. 


234 

Puissances qui avez guéri Job 
Et son corps meurtri 
Guérissez-moi aussi 

Je t'implore par ceux qui sont proches de Toi 

Et ont étudié les livres 

Mon Dieu de grâce sauve-moi 

Les tares fondent sur ma vieillesse 
Et mon corps est morfondu 
Seigneur Dieu que Ta volonté soit faite. 


1. Variante : 

Préviensda avant qu elle ne te souille. 


91 






235 


Ad awen hkuy a Ifehham 
yeyli d felli ttlam 
t-tidet maççi d lekdeb 

Aqliy* am yisy’ agugam 
m 3 aàguzit leklam 
a Sidi Sàid-u-Taleb 

Ncab ur nesâi axxam 
ndàa ger Lislam 
a lehbab Llehyaleb. 


236 


\V ibyan Rebb* a i iwehhed 
di Muhend-u-Mhend 
meskin iàawj rray is 

Iyra Leqwran ijewwed 

di zik is yeghed 

tara la ireffed s wallen is 

Waqila ssfer iqerb d 
aàwin ulahed 
siw* asebsi d arfiq is. 


92 


235 


Sages que je vous instruise 
Les ténèbres ont fondu sur moi 
Je vous le dis en vérité 

Je suis comme le vautour muet 
Dont sont noués les mots 
Sidi Saïd ou Taleb 1 

Je n ai point de logis en ma vieillesse 
Je suis au rebut parmi les musulmans 
Amis la volonté de Dieu est la plus forte. 

236 


Qui veut méditer Dieu 

Regarde le pauvre Mohand-ou-m’hand 

Dont est dévoyée la raison 

Il avait étudié le Koran l'avait psalmodié 
Il était jadis vigoureux 

Et le voilà qui ne peut plus que lever les paupières 

Le départ est proche je crois 

De provisions point 

Et pour seul compagnon sa pipe. 


1. Marabout des environs de Michelet. 


93 






237 


Abrid a nqaad ï\ i rrwah 
lehbab annemsamah 
tamurt a njerreb 4* merra 

yer Tunes neby’ anserreh 
anzur ssellah 
d ssaddat Lhurawa 2 

l\ru wul tasa tejreh 
ters d yef cceh 
anettef lkuraj tamara 

A Ibudala d sseyyah 
a ssaddat lemlah 
nedhey yesswen deg tmura 

D kra ye^hubbun leryah 
Fsit ay legnah 
beddlet fellay lihala. 


1. Variante : snesdey f (J c l’ 1 * passée au crible). 

2. Variante : lhurufa (lettrés). 


94 


237 


Cette fois c’est décidé je vais partir 
Amis pardonnons-nous 1 
J’ai tout appris de ce pays 

Je veux faire route vers Tunis 
Y visiter les lieux saints 
Et les sanctuaires Houraoua 2 

Mon cœur pleure mon âme est blessée 
Le mal a atteint les chairs vives 
A grand-peine je tiens ferme 

Possédés de Dieu et vagabonds 
Saints vertueux 

J’en appelle à vous par tous pays 

Puissances qui faites souffler les vents 

Libérez nos ailes 

Faites-nous neuves conditions. 


1. Quand un homme se trouve dans un état où il risque de trou¬ 
ver la mort, il est d’usage qu’il sollicite le pardon des survivants et 
qu’il leur accorde le sien. 

2. Terme inconnu par ailleurs. La leçon peut être incorrecte. La 
variante : lhurufa, introduite sans doute parce que la première était 
incompréhensible, n’est guère satisfaisante. 


I 


95 
















239 


Aqliyi la shumsusey 
tinid day sekrey 
aani neswa d ur nezri 

Laaqel iw ur-t-mlikey 

aqliyi ddrewcey 

win yadey a d yerzu felli 

Ma d nek abrid’ ad ruhey 
wis m f ad d uyaley 
w* illan d ahbib isemmeh i. 


246 

Si Tedmayt s At-Buxalfa 
ssura w tekfa 
la zzuyurey g imaniw 

Irekb iyi lyec nerfa 
rwiy tilufa 

aqli harey di làamer iw 

Ziyemma tirga mxalfa 

a lfahmin necfa 

dhiy-d d ayrib di tmurt iw. 


96 


239 


Me voici tout bredouillant 
Et comme ivre 

Aurais-je bu sans m’en rendre compte 

Je ne suis plus maître de ma raison 

Me voici tout fou 

Venez à moi vous qui m’aimez 

Cette fois je m’en vais partir 
Et qui sait si je reviendrai 
Mes amis pardonnez-moi 1 

246 

Entre Tadmaït et Boukhalfa 
Mes forces étaient épuisées 
Je ne faisais plus que me traîner 

J’étouffais de colère 
Et repu de souffrances 
Il me tardait de rendre l’âme 

Mais vrai les rêves s’interprètent à rebours 2 
Sages il m’en souvient 

J’étais devenu étranger dans mon propre pays. 


î. Voir n° 237, note 1. 

2. Tirga mxalfà, expression consacrée : allusion à la croyance qui 
veut quon doive interpréter les rêves en prenant le contraire de 
leur sens apparent. 


97 



250 


A sseltan deg Aamrawa 
a Sidi Balwa 
a mul ssengaq muhab 

D amudin fekt iyi ddwa 
yurek ay d nenwa 
ay ahnin deg nettalab 

Fak felli Ikif d ccira 
tebbw‘ iyi zzehwa 
si temzi alarmi ncab. 


253 

Si Aadni armi d Larbaa 
trekb ii lxelaa 
d nek i-gnudan fcllas 

Aqliy* usiy d s ttaa 
qqwley d Iqaa 
mekkui ssid hkiy as 

Tamurt agi d lbidaa 
ffyen akw si ccraa 
abrid a qdaay lavas \ 


1. Variantes Feraoun {Voyage, 10) 
5 - Neqqley d\ Iqaa 
menkulhed hki as. 


98 


250 


Prince du pays Amraoua 1 
Sidi Baloua 

A Tétendard redoutable 

Je suis malade apporte-moi remède 
A toi compatissant vont ma foi 
Et mes vœux 

Guéris-moi du kif et de la cocaïne 

J*ai été livré aux plaisirs 

Depuis mes jeunes ans jusqu’à la vieillesse. 

253 


Entre Adni et Larbaa 2 
J’ai été saisi d’épouvante 
Mais je l’avais bien cherché 

Je venais humble 
Et à terre soumis 
A chacun de dire mon sort 

Mais ce pays d’hérétiques 
Est sorti de la Voie 
Cette fois j’ai fini d’espérer 3 


1. Amraoua. Ensemble de tribus makhzen installées par les Turcs 
autour de Tizi-Ouzou. Le nom a fini par désigner la région même 
quelles occupent. 

2. Larba-nat-Iraten : Fort-National. 

3. Variantes Feraoun : 

5 - Planté à terre 

A chacun je racontais mon aventure. 


99 




254 


Tamurt yeznuzen aaqquc 
cnayet di laaruc 
si Larbaa terred d asawen 

Akken kesben akerruc 
nnefqa d lekruc 
Ixligen d Icerriden 

S kra bbw* illan d akehluc 
tura s kalabuc 
rnan itabaniyen 

At lgawi d hmimuc 
qqwlcn d iewhuc 
uyalen akw s lemxazen. 





255 

Ata wui iw iheggei 
di ssfer a iaàjjel 
Midi ad àaddiy syinni 

Tamurt a ziy tbeddel 
bbwin t zzwamel 
widak kerhey zikenni 


100 


l 


254 


Ce pays de vendeurs de verroterie 1 
Est célèbre parmi les tribus 
En amont de Larba 

Leurs champs sont de chênes 

Et leur viande des tripes 2 

Les gens d’Ikhelidjen et d’Icheriden 3 

Tous les noirauds de jadis 
Maintenant portent fez 
Et turbans fleuris 

Les marchands de benjoin et fards 
Désormais inspirent la terreur 
Ils possèdent des magasins. 

255 


Le coeur serré 
Je me hâte vers 
Michelet où je dois passer 

Mais ce pays a changé 

Il est devenu la proie des gredins 

De ceux que jadis j*abhorrais 


1. Beaucoup de Kabyles de Haute Kabylie émigraient dans la 
plaine comme colporteurs de menue marchandise. 

2. Le gland de chêne et les tripes sont nourritures de pauvre. 

3. Deux villages sur la crête qui relie Fort-National à Michelet. 


101 



Tamàaict tesâab .af lefhel 
teqqwl as d ifelfel 
irwa zzâaf d lehjani. 


263 


Àqlay nebbwed d yer Lqalla 
ttama 1-lehdada 
aawin yellan nfuk it 

Wehmey ayagi d nelha 

tebàad Larbàa 

adu 1-lehbab nectaq it 

Lexbar siwed it i yemma 
ma d mmim venfa 
yer tmurt taberranit. 


264 


Aqlay nebbwed d yer Tunes 
rwiy d ahewwes 
caylelleh a ssalhin n tmurt 

Seg-wyebbar aqlay numes 
ssura terqaqes 
si âaggu rzag lqut 

agwlim a-gezdin iyes 
neggumm* annettes 
wâalelleh attifrir tagut. 


102 


Et au preux l’existence est ardue 

Et âpre comme le piment 

Il se gave de colère et de désespoir. 

263 

Me voici parvenu à La Calle 

Près de la frontière 

Toutes mes provisions sont épuisées 

J*admire tout ce que j’ai marché 
Depuis Larba 

J’ai la nostalgie de mes amis 

A ma mère porte la nouvelle 
Que son fils est exilé 
En terre étrangère. 


264 


Me voici parvenu à Tunis 

Repu d’ errances 

Salut à vous saints du pays 

J’ai le corps tout souillé de poussière 
Frissonnant 

Et si las qu’il répugne à toute nourriture 

Ma peau colle sur mes os 
Je n’arrive pas à dormir 

Mais grâce à Dieu ce mal comme brume passera. 


103 


266 

Lherf a-t-refdey memhus 
saben yir legnus 
qlil w’ illan d laali 

\V* ur nesai tagma{ mexsus 
am bu viwen ufus 
maadur ur yesai lwali 1 

Yir tagmat am kalitus 
ma ywezzif messus 
mbaaid a-gerra tili. 


1* Variante, qui semble plutôt une bonne imitation 
1 - Aqliy’ a Ifahmin mewsus 
lgil d amenhus 
lihala w mazal tehli 

Ata wul iw yeshumsus 
d amehzul ihus 
ur d dri d hed akkagi 


104 


266 


A Tunis, Si Mohand est accueilli sans excès de tendresse 
par Akli, son frère , qui pourtant n’ose pas lui refuser l’hospita¬ 
lité. Akli est devenu un citadin de Tunis . Si Mohand ne voit pas 
sa femme qui d’ailleurs demande ce que ce va-nu-pieds est venu 
faire à Tunis. Un soir, le poète refusant le dîner qu’on lui servait 
seul se rend au café, où on le trouve fumant sa pipe de kif II va 
dès lors composer des poèmes qui sont de véritables satires . Il les 
fait placarder, transcrits en caractères arabes, au café où toute la 
colonie kabyle de Tunis peut les voir. 

Je vais le composer bien net 
Il y a foison de male engeance 
et peu d’honnêtes gens 

Qui n a point de frères est démuni 
Il est comme le manchot 
Privé d’appui le malheureux 1 

Les mauvais frères sont comme l’eucalyptus 
Il est haut mais sans fruit 
Et son ombre porte au loin 2 


1. Variante : 

1 - Sages me voici démuni 
En ce siècle jaloux 
Mon sort n’es point encore remis 

Mon coeur murmure 
Miné par un mal 
Avant moi inéprouvé. 

2. Comparé aux arbres des forêts kabyles, l’eucalyptus est un 
arbre haut, dont l’ombre porte loin du tronc. Ainsi les mauvais 
frères accordent leur aide à des hommes qu’aucun lien de parenté 
ne lie à eux. 


105 




268 


Taudded d rray ixuss i 
mi tbaay asebsi 
tehsebm i g-gwid immutcn 

Ggulley ur neçç’ imensi 
nedha d netqissi 
a wen nini lehdur nessen 

Ilsa Igebba yef Ikursi 
auddey n At-Qasi 
ziyemma d Aali Ggirjen 

Lemhibba* yidwen texsi 
Ma kan ma twasi 
la keç la gma briy awen. 


106 


268 


Tu croyais que citait par déraison 
Que je m’adonnais au kif 
Et à vos yeux j’étais mort 

Si je refusai votre dîner 

C’est que je pesais 

Les mots que j’allais vous dire 

L’un de vous était assis sur une chaise 
[dans sa longue robe 1 
Je le prenais pour un Aït-Kaci 2 
Et c’était Ali d’irjen 3 

Entre vous et moi morte est toute tendresse 
Irrévocablement 

Et tant mon frère que toi je vous répudie. 


1. La gebba tunisienne est un habit de citadin. 

2. Noble familie de Tamda, renommée en Kabylie. 

3. S’il était de noble race, on l’appellerait du nom de sa famille 
et non de celui de son village. 


107 



270 


W ibyan Rebb’ a t iwehhed 
di Si Muh-u-Mhend 
yahe^rah deg zik ines 

lyra leqwran ijewwed 
Sidi Xlii ighed 
maatbaren di zzin ines 

Ziyemma Rebbi ijerred 
dexxwan akw d ccerh 
d lkif ay d Iqut ines 

À k. iniy awal hess ed 
Rebb’ akk’ a-gjerred 
maççi d Ifehm ay nxus 

Ssney ayen ur issin hed 
ul'ay d naiwed 
nennum nreffed Imexsus 

Umney s Rebbi wahed 
tagmaf ulahed 
annerwei qbel annimsus 1 . 


1. Variantes : 

10 - W’ibyan ad-d-iscl yesl cd 

15 - Lemhayen atas maççi drus 

16 - Yif w’issnen Rebbi wahed 


108 


270 


Qui veut méditer Dieu 
Regarde Mohand-ou-rn hand 
Hâas en son temps jadis 

Il avait étudié le Koran l'avait psalmodié 
Il était versé dans Sidi Khelil 1 
On s'émerveillait de sa beauté 

Mais Dieu lui avait destiné 
Tabac et vin 

Et kif pour sa nourriture 

Ecoute que je te dise 
C'est Dieu qui l’a voulu 
Et non mon imprudence 

J'en sais plus que quiconque 

A quoi bon tout redire 

J'avais coutume de secourir l'indigent 

Seul existe le Dieu Un c'est ma foi 

il n’y a point de frères 

Fuyons avant de perdre tout sel 2 . 


1. Khalil Ibnou Ishak, populairement ; Sidi Khelil. Juris con¬ 
sulte musulman, le plus célèbre des exégètes du rite malékitc. Son 
traité U Mokchtasar (abrégé) constituait la base et souvent la ma¬ 
tière des études juridiques dans les pays du Maghreb. Mort en 1365 
et, selon d’autres, en 1374. 

2. Variantes : 

10 - Qui veut entendre m’entende 

11 - Mes épreuves sont innombrables 

12 - Mieux vaut prodamer le Dieu un. 


109 




272 


Aal-Elleh aqlay annas 
ma irad uàassas 
ma t-Tunes tura tbeddel 

La d ttasen d imurdas 
aacr' ay d aterras 
syur Hebb’ ay d ikka ddei 

Ahia Imut byiy ad d as 
qwan yir legnas 
Aâraben rnaa d Leqbayel 

Le^ayer annerzu fellas 
tamdint I-lkweyyas 
dinna i-gefban lefhel. 


273 

A lbaz ilik d aqeyyas 
yel Itahem hku vas 
ccbab iheggan iqqar 

Mkul ahbib xaf in’ as 
ittef iyi ttlam deg-gwas 
tarwiht 1-lâaz tennemdar 

Mazal qdàay lavas 
la tqiddiy annas 
kulyiwen as hkuy lexbar. 


110 


272 


Je vais s’il plaît à Dieu revenir 
Si les saints le veulent 
Car Tunis a changé 

Les gens y entrent à moitié morts 
Il en faut dix pour faire un homme 
De Dieu leur vient la déchéance 

Mort je veux que tu viennes 
Tant abonde male engeance 
D’Arabes à qui se joignent les Kabyles 

J’entrerai dans Alger 
La ville des hommes nobles 
Là seuls se voient les preux. 

273 

Faucon pèse tes mots 
Et à l’avisé 1 dis 
L’état du jeune clerc 

A tous les amis dis comme 

La nuit a fondu sur moi en plein jour 

jetant aux quatre vents mon âme aimée. 

Car je n’ai pas perdu l’espoir 
de revenir 

Conter à chacun mon aventure. 


1. Le poète fait allusion à son frère. 


111 



274 


yettef iyi lwad d amessas 
mektub deg rras 
Iweqt agi d ayeddar 

Si Tunes nek d aterras 
abrid s uàassas 
di Sschra blad Iqifar 

Bennuy yefhuddu F Usas 

Elleh yextar as 

kra àaftbey d axessar. 


275 

A lfahem kulci mehdud 
maçç’ akk* ay nàud 
rgiy am-gujiJ tabburt 

Yendef wul izri w iru d 
yekker degs ddud 
mkulwa isaadda tafsut 

Mi tehla Imehna teznu d 
sebhank a Imaàbud 
tamara ibellaà iqut 

/ 

Ay at rrkuà d ssugud 

Fsit ay leqyud 

recdey kwen argaz tamettut 


112 


274 


Insipide le Destin qui s’est saisi de moi 
mais il était écrit sur mon front 
que ce temps serait de traîtrise 

Je suis venu à pied de Tunis 
par des chemins gardés 
à travers le Sahara pays des déserts 

Je construisais, il détruisait jusqu’aux fondations 1 

mais Dieu lui réserve ses coups 

Mes épreuves s’en sont allées en pure perte. 

275 

Sage tout a été prédestiné 

Mon attente a été trompée 

Me voici orphelin guettant près de la porte 

Mon cœur de nouveau blessé a fondu en larmes 
Il grouille de vers 

Alors que chacun a vécu son printemps 

Mon mal à peine apaisé ressuscite 
Gloire à Toi Dieu adoré 
Je n’avale plus que contraint 

Prieurs prosternés et soumis 
Brisez mes fers 

J’en appelle à vous hommes et femmes 


1. Le poète (ait allusion à son frère. 


113 



Nusà d d inebgi meqsud 

nufa d lmuhucf 

awal i wen nniy metbut 

Armi ncab imi w ihud 
ay nexda Ihudud 
lukan axir day nemmut. 


276 


A Rebbi deg nessutur 
dawi d Imedrur 
Laâceq u Iqella 1-lmesruf 

yriy Leqwran kul ssdur 
tzaliay tthur 

ism iw ar medden maàruf 

Tura imi ncab neqqur 
la y reggmen laàrur 
wehcey iyli d felli lxuf. 


114 


Je suis venu en invité 
Et j*ai trouvé un lit 1 
Je vous le dis en vérité 

Il a fallu les cheveux gris et la bouche édentée 
Pour que je passe les bornes 
Mieux valait la mort. 


276 

Dieu à qui vont nos requêtes 

Guéris le déshérité 

Tout ensemble amoureux et démuni 

J’ai étudié le Koran ligne à ligne 
Je faisais la prière du Dohor 2 
Mon nom était partout répandu 

Maintenant que je suis blanchi et desséché 

J’essuie l’insulte des gredins 

Je suis esseulé l’épouvante a fondu sur moi. 


1. Sens ici peu sûr. 

2. Celle du début de l’après-midi, qu’on peut remettre au soir 
pour la joindre à celles qui viennent plus tard. 


115 






279 


Ddcnya anruh laqrar 
d aqcic ney d amyar 
lamer r -Rebbi sebhanu 

Âyen d i\Ieq ad indeggar 
a s yeg akw leqrar 
ur t icqi hed ma i^ru 

W* isaan kr’ ad veçç meqqar 
ifren deg lxetvar 
g-gwas is aan’ ad vernu 


282 


Lmehna w ur tefnaawad 
ur zmiren laabad 
ad kksen ccedda felli 

Lehlak iw simmal ye^ad 
aani day nugad 
hulfay i ssura w teyli 

D zzehr iw ay d ahessad 
rebhen akw laabad 
nek yug’ ad ii d iwaii. 


116 


279 


Nous devons quitter le monde sans y laisser de trace 
Jeunes ou vieux 

Telle est la volonté de Dieu gloire à Lui 

Tout ce qu’il a créé se perdra 

Et ira vers le but fixé 

Que Lui importe que quelqu’un pleure 

Si tu as quelque chose au moins jouis-en 
Choisis le plus exquis 

Tu ne prolongeras pas d’un seul jour ta vie. 

282 


Indicible est ma peine 
Et nul être ne peut 
M’enlever de tourment 

Mon mal chaque jour empire 
Aurais-je peur 

Je sens tout mon corps abattu 

Un destin jaloux me poursuit 
Tout le monde est heureux 
Mais Dieu ne veut point 
[tourner ses regards vers moi. 


117 











283 


Ata wul iw yefregrig 
af lqern uAwij 
âussey am gujil tabburt 

Atnâareri a Sidi Ali ssid 
ahaya mmi s n ssid 
tedâud ar tifrir tagut. 

Av helkey lehlak d uswid 
kulyum ye??eggid 
abrid a hubay Imut. 


285 


Helkey lehlak d amqennin 
kulyum yesmeqnin 
mi hliy teznu d tiyta 

Ddwa s ttelb’ ur t sain 
nuday timdinin 
steqsay ddkur u nnta 

Abrid a heggit timedlin 
qbel ad awen inin 
Muhend af tizi 1-lmuta. 


118 


283 


Mon cœur délire 
Sur ce siècle tors 
Dont orphelin je garde la porte 

Lion Ali 1 assiste-moi 
Homme de noble race 
Prie que se dissipe ma brume 

Je souffre d’un mal noir 
Qui chaque jour empire 
Cette fois j’ai terreur de mourir. 


285 


Je souffre d’un mal tenace 
Qui chaque jour se propage 
Et après chaque répit ressuscite 

Les clercs n’en ont pas le remède 
J’ai parcouru toutes les villes 
Interrogé hommes et femmes 

Cette fois préparez les dalles 
Avant qu’on ne vous dise 
Mohand est sur le point de mourir. 


1. Ali, gendre du Prophète, héros des légendes islamiques. 


119 











286 


A ccix Muhend-u-Lhusin 
nusa d a k nissin 
nedmaa si Igiha k cwit 

A lbaz izedyen lehsin 
ihubb ik wehnin 
amkan ik hed ur t ibbwid 

yer ssfer heggi aawin 
ul iw d amudin 
tamurt atbeddel wivid 1 . 


. Variante Feraoun ( Voyage, 13). 

3 - ul iw irekb it lyid 
5 - ilaq ak wissin 

au ikem iyi ujemmid 
7 - a ssaddat Heggit aawin 
si tizi akin 

tamurt a ; zedycn wiyid. 


120 


286 


Cheikh Mohand-ou-El Hocine 

Je suis venu te connaître 

Car ^attends quelque aide de toi 

Faucon qui hantes le manoir 
Tu es aimé de Dieu très Bon 
A ta hauteur nul n atteint 

Pour le voyage prépare le viatique 

Mon cœur souffre 

Ce pays va changer d’hommes h 


1. Variante Feraoun ( Voyage, 13) : 

3 - Le trouble a saisi mon coeur 
5 - Il te faut un pair 

Le froid est entré en moi 
7 - Saints préparez le viatique 
Pour aller de l’autre côté du col 
Dans ce pays d’autres vont venir 


121 











SI MOHAND 


Si Mohand, fils de M’hand at Hamadouchc est né vers 1845 à 
Icherâiouen (Haute Kabylic). Il appartient à une famille relative- 
ment aisée. Si Mohand est destiné à la lecture et à l'écriture de la 
langue sacrée : le Koran. Il devait assurer les fonctions de talcb. En 
1871, avec la grande insurrection de El-Mokrani et du cheikh 
Ahcddad, une partie de sa famille sera exécutée, dont le père de 
Mohand. Mohand échappera au massacre grâce à l'intervention 
d'un militaire qui jugeait sa mort inutile. Le village du jeune 
homme est incendié* Il est contraint dès lors de vivre livré à lui- 
même. Poète, Si Mohand vit dans l'errance jusqu'à sa mort en 
1906. 


123 











ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE 


A. Hanoteau, Poésies populaires de la Kabyliedu Djurdjura* Paris, 
Imprimerie impériale éd., 1867. 

Bclkacem Ben Scdira, Cours de langue kabyle* Alger, Jourdan éd., 
1887, pp. 377 à 407 : « Chansons et poésies ». 

L. Rinn, « Deux chansons kabyles sur l’insurrection de 1871 », 
Revue africaine* 1887, t. 31, pp- 55 à 71. 

René Basset, L'Insurrection algérienne de 1871 dans les chansons 
populaires kabyles* Louvain, Istas éd., 1892, 60 p. 

Si Said Boulifa, Recueil de poésies kabyles* Alger, Jordan éd., 1904. 

E. Layer, Par monts et par vaux. Poésies populaires kabyles* Rouen, 
Lainééd., 1913. 

Henri Basset, Essai sur la littérature des Berbères* Alger, Carbonel, 
1920. 

Jean Ambouchc, Chants berbères de Kdbylie , Tunis, Monomo- 
rapa éd., 1939. 

Emile Dcrmenghem, La Poésie kabyle de Si Mouh ou Mohand et 
les isefra* Documents algériens, série culturelle, 1951, n° 57. 

Mouloud Feraoun, La Légende de Si Mohand* Algérie, septembre 
1958. 

Mouloud Feraoun, Les Poèmes de Si Mohand* Paris, Editions de 
Minuit éd., I960. 

Pierre Savignac, Poésie populaire des Kabyles* Paris, F. Maspero 
éd., 1984. 

M. Taos Ambouchc, Le Grain magique , Paris, F. Maspero éd., 
1966. 

Mouloud Mammcri, Les Isefra-poèmes de SiMohand-ou-Mhand* 
Paris, F. Maspero éd., 1969. 


125 












TABLE 


Préface , par Tassadit Yacine.7 

Isefra.19 

Notice biographique.123 

Orientation bibliographique.125 








ACHEVÉ D'IMPRIMER 
EN AVRIL 1994 
SUR LES PRESSES DE 
L’IMPRIMERIE DU LION 
90700 CHATENOIS LES FORGES 
DÉPÔT LÉGAL : 2*TRIMESTRE 1994 


ISBN : 2-7291-0990-0 
ISSN : 0-993-8672